Enseigner la Shoah pour combattre l'antisémitisme : dans certains établissements scolaires, "il y a des points de blocage"

mémorial de la Shoah à Paris 1280
Le Mémorial de la Shoah, à Paris. © CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
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Romain David , modifié à
Invité lundi du Tour de la question sur Europe 1, Jacques Fredj, le directeur général du Mémorial de la Shoah, évoque la difficulté de parler du génocide juif avec certains jeunes de quartier.
LE TOUR DE LA QUESTION

Après le cri d'alarme, la riposte. Le Premier ministre Édouard Philippe s'est inquiété sur Facebook de la hausse spectaculaire des actes antisémites commis en France depuis le début de l'année. Soit une augmentation de 69%, selon les chiffres du Service central du renseignement territorial, qui s'appuie notamment sur les signalements communiqués au service de protection de la communauté juive, un organisme du Crif. "Ne pas rester indifférent, c’est éduquer les jeunes générations au respect de l’autre", estime le chef du gouvernement, qui promet notamment la mise en place dans les prochains jours d'une équipe nationale mobilisable en permanence, "pour intervenir dans les établissements scolaires en appui de tout enseignant confronté à l'antisémitisme".

Pour Jacques Fredj, le directeur général du Mémorial de la Shoah, l'école représente en effet un "véritable enjeu" en matière de lutte contre l'antisémitisme. Elle est, selon cet historien, le seul porte-voix capable de donner le change aux préjugés, voire aux discours racistes, véhiculés par les nouveaux moyens de diffusion que sont les réseaux sociaux et les plateformes de vidéos en ligne. "Une enfant ne naît pas raciste ou antisémite, il le devient", relève-t-il lundi, au micro de François Clauss, dans Le Tour de la question sur Europe 1.

>> De 9h à 11h, on fait le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

Un discours difficilement audible. "La plupart du temps, sur le terrain, nous sommes confrontés à de enfants qui sont antisémites mais qui l'ignorent, qui vous parlent sans agressivité, s'expriment à partir de stéréotypes qu'ils voient confirmés par leur entourage", explique-t-il, alors que le mémorial met en place dans les écoles des ateliers pédagogiques pour aborder, avec les plus jeunes, l'histoire des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. "On n'a jamais autant enseigné la Shoah en France qu'aujourd'hui. Dans la majorité des établissements scolaires, on l'enseigne bien. Mais il y a, dans certains endroits, des points de blocage", avoue-t-il.

Il pointe ainsi la difficulté de parler d'antisémitisme dans certaines banlieues dont les populations, majoritairement issues de l'immigration, sont pourtant elles-même victimes de discrimination. "Dès que l'on parle d'actes antisémites, il y a cette concurrence des mémoires qui se met en place, comme s'il s'agissait de faire en sorte que les juifs garde la tête de ce palmarès de la souffrance", déplore Jacques Fredj.

Un nouvel arsenal législatif

Pour mieux lutter contre les discours haineux qui fleurissent en ligne, le gouvernement prévoit pour 2019 une modification de la loi, en tablant notamment sur un plus grand investissement dans ce domaine de la part des géants du net. "Le gouvernement engagera en 2019 un chantier législatif pour obtenir le retrait rapide des contenus haineux. Il se battra pour que ce sujet soit traité comme une priorité par le Parlement européen et la Commission qui seront issus des élections de mai 2019", a fait savoir Edouard Philippe.

Entendu sur europe1 :
Il faudrait avoir une histoire positive des juifs en France et en Europe, pour amoindrir un peu cette image de victime éternelle dans la société

"Nous avançons avec un pas de côté". Cet a priori a poussé le Mémorial de la Shoah à opérer un important travail de re-contextualisation, notamment en évoquant l'antisémitisme et la Shoah au regard des autres types de discrimination et des autres génocides. "Nous avançons avec un pas de côté", concède Jacques Fredj. "Nous parlons du racisme. Il y a des élèves, dans certains établissements scolaires, qui ont le sentiment, à tort ou à raison, d'être victimes de racisme dans la société française. Il faut qu'on les écoute, que l'on entende ce qu'ils ont à dire. Une fois qu'on leur a parlé du racisme et des autres génocides, s'ils ont les oreilles ouvertes, ils sont prêts à nous entendre sur le reste", développe-t-il.

Une histoire positive des juifs en France. Jacques Fredj estime encore que l'antisémitisme se combat difficilement avec une vision généralement pessimiste de l'histoire juive, souvent centrée sur l’événement dramatique et récent que représente l'extermination par les nazis. "Aujourd'hui, le problème que l'on a à l'école, et tous les enseignants nous le disent, c'est que l'on ne parle des juifs qu'avec une histoire compliquée, celle de l'antisémitisme", déplore le directeur du Mémorial de la Shoah. "Il faudrait avoir une histoire positive des juifs en France et en Europe, pour amoindrir un peu cette image de victime éternelle dans la société."

Constatez-vous une augmentation des actes antisémites dans votre quotidien ?

Nous vous avons demandé sur la page Facebook d'Europe 1 si vous constatiez une augmentation des actes antisémites dans votre quotidien. Sur 3.600 votes à 11 heures lundi, vous êtes 78% à avoir répondu "Non". Au micro du Tour de la question, le politologue Dominique Reynié tient a rappeler que les juifs "ne représentent que 0,8% de la population en France". "Evidemment, ils ne seront pas, par définition, nombreux à répondre à cette enquête alors que ce sont eux qui sont les plus sensibles et les plus exposés aux propos antisémites", veut-il nuancer.