"Madame la juge, je n’ai rien à perdre (…) si j’ai fait une connerie, je suis d’accord pour la payer", déclare Michel Fourniret à Sabine Khéris dès son premier interrogatoire, mercredi 4 mars. Mais c’est le lendemain, lors du deuxième après-midi d’audition que "l’Ogre des Ardennes" passe aux aveux. Dans ses déclarations, qu’Europe 1 a pu consulter en exclusivité, le tueur en série lâche : "C’est un fardeau lourd à porter, mais ça n’empêche pas de reconnaître les faits". "Quels faits reconnaissez-vous ?", relance la juge. "D’avoir pris sa vie", avoue pour la première fois Michel Fourniret, 17 ans après la disparition d'Estelle Mouzin, à Guermantes, en 2003.
"Un être qui n’est plus là par ma faute"
Devant l’une des photos d’Estelle Mouzin, Michel Fourniret admet : "Il est possible que cette image m’indispose (…) et je reconnais là un être qui n’est plus là par ma faute". "Dites-moi en plus", lui demande la juge. "L’enlèvement d’un être, c’est une sacré boulette et vous n’en êtes pas fier", répond le tueur en série.
Il évoque alors en creux son mode opératoire et ses sensations quand il accoste une victime, sans pour autant nommer Estelle Mouzin : "après avoir pris contact avec cette personne, vous êtes vachement mal dans vos souliers et ça ne peut pas durer, il faut faire cesser", répète-t-il. Se décrivant comme "un putain d’orgueilleux", il ajoute un peu plus tard à propos de lui : "Vous savez très bien ce que vous avez fait, vous avez fait une connerie mais vous vous dîtes ‘tu as fait le con, mec, casse-toi’."
" J'ai traversé l'agglomération motorisé, et il y a eu un accostage idoine "
Sur les conditions précises dans lesquelles il aurait abordé et kidnappé la fillette, Michel Fourniret répond par bribes. "Je dirais qu’elle n’était pas seule mais qu’elle devait être avec une ou plusieurs copines. (…) J’ai traversé l’agglomération motorisé et il y a eu un accostage idoine". Confronté aux plans et photos du lieu de la disparition d’Estelle près d’une boulangerie, Michel Fourniret semble retrouver en partie la mémoire : "cela me dit quelque chose, ça me parle, j’ai le sentiment que vous êtes sur le vrai", répond-il avant d’insister pour être amené sur place, à Guermantes.
"Ça serait positif, (…) l’essentiel pour moi est de voir avec mes mirettes l’endroit où je l’ai accostée et où je l’ai fait venir dans ma camionnette". La juge finit par lui demander : "Nous voulons bien aller à Guermantes, mais pouvons-nous être sûrs de votre aide ?". Fourniret assure alors : "Vous avez en face de vous un type qui est de bonne foi et qui n’essaie pas de vous entourlouper."
Aucune indication sur la localisation du corps
Mais lorsque les questions de la magistrate sont plus concrètes, le tueur en série lui oppose inlassablement "l’absence d’image" dans sa tête. Il est incapable de décrire la façon dont il aurait "ôté la vie" à Estelle. "Je ne saurais vous dire et si des images me revenaient je les foutrais par la fenêtre parce qu’on ne veut garder que ce dont on est fier", explique-t-il.
" Quand vous êtes aux abois avec un corps dont vous ne savez pas quoi faire, vous faites n'importe quoi pour fuir la réalité, vite s'en débarrasser "
De même, ces trois après-midi d’audition, longuement préparées, ne permettent pas de savoir où Michel Fourniret aurait déposé le corps de sa victime. Pour seule explication à son absence de souvenir sur ce point, le tueur en série livre son ressenti glaçant : "Ce qu’il faut comprendre, madame le juge c’est que quand vous êtes aux abois avec un corps dont vous ne savez pas quoi faire, vous faites n’importe quoi pour fuir la réalité, vite s’en débarrasser (…) et la raison et la panique se télescopent."
"Tous les chemins mènent à vous"
Durant ces heures de face à face avec Fourniret, la magistrate tente pourtant par tous les moyens d’amener "l’Ogre des Ardennes" à se livrer, en présence de ses avocats. Ainsi, elle aborde son passé, ses fréquentations, ses anciens collègues de travail. Elle lui présente une carte routière, fait appel à ses souvenirs, ses trajets en fourgonnette au début des années 2000…
Puis, elle liste les éléments à charge contre lui. "Raisonnablement, tous les chemins mènent à vous", souffle la juge à un Michel Fourniret répétant en boucle que "rien ne fait tilt", qu’il n’a "pas de déclic" dans sa tête. À plusieurs reprises, dans ses interrogatoires, le tueur en série évoque un blocage mental, une "résistance" qui l’empêcherait de livrer des aveux plus complets, prétendant néanmoins à la magistrate : "sachez que je suis sincère avec vous et je ne vous raconte pas de bobards".
" Nous avons l'impression qu'il y a une tempête sous votre crâne et qu'il y a des choses dont vous ne voulez pas nous parler "
La juge d’instruction Sabine Khéris a donc dû user de patience face à un Michel Fourniret, joueur d’échecs, l’incitant à avancer ses pions : "Allez-y, dites-moi ce qui vous chagrine, faites-moi entrevoir le plan que vous avez en tête", lui suggère-t-il, avant de déplorer : "Vous êtes insondable, on ne sait pas ce que vous voulez".
Une magistrate aux questions tantôt directes, tantôt détournées, qui croit deviner chez le tueur en série un grand trouble. "Nous avons l’impression qu’il y a une tempête sous votre crâne et qu’il y a des choses dont vous ne voulez pas nous parler", dit-elle. Fourniret évoque alors un "maelstrom", un "frein" qui l’empêcherait de "tout lâcher".
D'autres auditions à venir
Mais faute d’indications précises pour retrouver le corps d’Estelle et recouper les déclarations du tueur en série, la juge et les enquêteurs vont encore devoir mener d’autres auditions avant de procéder à d’éventuelles fouilles ou transport sur les lieux. Lors de son dernier interrogatoire, vendredi 6 mars, "l’Ogre des Ardennes" - atteint de réels troubles de la mémoire - referme ainsi la porte qu’il avait pourtant entrouverte la veille : "les circonstances, la suite, le déroulement, c’est dans les oubliettes". Michel Fourniret tente encore de se justifier : "Ce n’est pas forcément une question de trou de mémoire, c’est plutôt le fait d’avoir commis des actes graves et de vouloir les effacer."