EXCLUSIF - En plein Paris, Lafarge déverse du béton dans la Seine

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Justin Morin, édité par Léa Leostic , modifié à
Selon nos informations, le cimentier Lafarge rejette volontairement dans la Seine des eaux usées d’une de ses usines situées au bord du fleuve. Dans ces eaux, un mélange de particules de ciment, de liquides de traitement et des microfibres de plastique.

Le cimentier Lafarge a été pris en flagrant délit de pollution environnementale, dans le quartier de Bercy à Paris, à deux pas du ministère de l'Économie. Selon nos informations, une de ses centrales de béton situées au bord de la Seine rejette délibérément des particules de ciment et des tiges de fibre plastique directement dans le fleuve. L’affaire a été transmise à la justice.

"La société est censée traiter ses déchets"

L’eau qui s’échappe de la cuve pourrait être confondue avec un ruisseau d’eau claire, mais c’est en fait  un mélange liquide de particules de ciments et de tiges en plastique, qui coule en continu. "Clairement, c'est volontaire. Dans ces cuves, ce sont toutes les eaux et les restes de bêton fabriqué dans la journée qui reviennent dans les camions en fin de journée. Ensuite, la société est censée traiter ses déchets", explique Jacques Lemoine, agent de développement de la Fédération interdépartementale pour la pêche et la protection du milieu aquatique, au micro d’Europe 1. 

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Sauf qu’ici, l’entreprise Lafarge ne traite pas ses déchets, alors que c’est pourtant une obligation légale. "Non seulement elle ne le fait pas, mais elle se permet de le rejeter dans la Seine volontairement...", continue Jacques Lemoine. C’est son équipe qui a découvert un trou, grossièrement percé dans la cuve de rétention des eaux usées de l'usine Lafarge. Il se dit écœuré et dénonce un scandale écologique.

Une pollution qui pourrait avoir débuté il y a plusieurs années

Pour l'agent de développement, cela fait des années que cela dure, en témoigne la couche de ciment séché visible sur les quais. Selon l’association, les matières déversées étouffent les poissons et polluent les algues.

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"C'est même assez poignant parce qu'on va souvent taper sur les petits artisans dès qu'il y a un petit souci au niveau de l'environnement et là, on a un grand groupe qui a totalement les moyens de faire autrement et surtout de recycler. Ce sont des matières qui sont totalement recyclables mais aujourd'hui, ils jettent ces déchets à l'eau", déplore John Bochaud, membre de l'équipe.

Une enquête ouverte par le parquet de Paris

Alertée, l'office français de la biodiversité a porté plainte. Le parquet de Paris a annoncé qu'une enquête était déjà ouverte depuis que l'Office français de la biodiversité (OFB) a constaté le 27 août une "suspicion de pollution de la Seine par une entreprise de travaux publics". La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a indiqué que des inspecteurs de son ministère allaient se rendre sur place et que les "responsables seraient poursuivis".

Contacté, Lafarge déplore "un incident tout à fait exceptionnel et indépendant de sa volonté". Le groupe affirme avoir été "victime d’une détérioration manifestement délibérée d’une plaque d’étanchéité qui a entraîné un écoulement temporaire d’eau recyclée dans la Seine." Un acte de vandalisme pour lequel le cimentier va porter plainte. Un argumentaire qui peine à convaincre les deux agents de la brigade fédérale de Paris. Selon eux, le premier signalement effectué par des pêcheurs remonte à plusieurs années.

"Aucun impact sur l’eau de consommation humaine", rassure l'ARS

Mercredi, l'Agence régionale de santé d'Île-de-France a publié un communiqué indiquant "qu'aucun impact de la pollution signalée n’a été signalé sur l’eau de consommation humaine". "Les autorités administratives mènent toutes les investigations nécessaires afin de définir l’origine de cette pollution", précise l'ARS, qui affirme le site du groupe Lafarge près de Bercy avait été inspecté début 2019, sans que des infractions soient relevées.

Vinci condamné dans une affaire similaire 

En avril 2019, un autre groupe avait été épinglé pour une affaire similaire. Il s’agissait d’une filiale du groupe Vinci, visée par une plainte pour, là aussi, des rejets délibérés de ciment dans les eaux de la Seine à Nanterre. Le procédé était alors ressemblant : les eaux de nettoyage des cuves des camions toupie étaient déversées dans une grande fosse à ciel ouvert, creusée à même le sol. Les eaux chargées de résidus de ciment se déversaient ensuite sur la berge, puis dans la Seine. Le groupe Vinci Construction avait ensuite reconnu un "écoulement involontaire", avant d’être condamné en mars dernier à 50.000 euros d’amende.