Samedi, à Paris, alors qu'il se retrouvait sur le trottoir face à plusieurs "gilets jaunes" qui manifestaient, le philosophe Alain Finkielkraut a été violemment interpellé, puis insulté par quelques-uns d'entre eux. Parmi les injures : "barre-toi, sale sioniste de merde !"
Cet incident, intervenu juste après une résurgence d'actes antisémites, et la confirmation par le ministère de l'Intérieur que les violences envers les personnes juives étaient en augmentation l'année dernière, a conduit le député LREM Sylvain Maillard à faire une suggestion qui n'est pas passée inaperçue : déposer une résolution ou une proposition de loi pour que l'antisionisme soit reconnu comme un délit, au même titre que l'antisémitisme. Mais l'idée ne fait pas l'unanimité, loin de là. Mardi matin, Emmanuel Macron lui-même a estimé qu'il ne pensait "pas que pénaliser l'antisionisme soit une solution".
Haine des Juifs vs. Opposition à Israël. Quelle est la différence entre ces deux termes ? Étymologiquement, l'antisémitisme désigne le racisme, l'hostilité dirigée contre les Juifs. L'antisionisme est une notion différente, apparue vers la fin du 19e siècle : c'est l'opposition au projet sioniste de création d'un foyer national juif, c'est-à-dire à la création de l'État d'Israël. Au début du 20e siècle, de nombreux Juifs sont d'ailleurs antisionistes, c'est-à-dire contre le fait que les Juifs s'installent sur ce qui est encore à l'époque la Palestine pour fonder leur propre État. Encore aujourd'hui, certaines organisations, comme l'Union juive française pour la paix (UJFP), se disent "antisionistes". Dans un communiqué publié mardi, l'UJFP explique "refuser la séparation des Juifs du reste de l'humanité" et condamne "l'apartheid" qui a cours en Israël, ainsi que le "nettoyage ethnique de la majorité des Palestiniens" opéré pour permettre la création de cet État.
Un antisionisme qui a évolué. Mais l'antisionisme a évolué à partir de 1948 et la fondation effective de cet État. Le terme peut recouvrir la critique de la politique israélienne, notamment la colonisation des territoires palestiniens. En outre, un glissement sémantique a également pu s'opérer pour maquiller l'antisémitisme en antisionisme, estime le député Sylvain Maillard. "L'antisionisme est devenu un antisémitisme moderne", explique l'élu à Europe 1. "On l'a bien vu samedi. Quand Alain Finkielkraut se fait prendre à partie par un 'gilet jaune' qui lui dit 'sale sioniste de merde', qu'est-ce qu'il veut dire au fond ? Il veut dire 'sale Juif de merde'. Mais en utilisant le vocable de 'sioniste', il pense qu'il peut éviter la justice. On voit très clairement qu'il y a un détournement de l'antisémitisme et qu'il y a besoin d'une nouvelle définition."
"L'antisionisme n'est pas toujours antisémite". La question se pose de manière récurrente depuis qu'en 2009, le polémiste Dieudonné avait lancé une liste "antisioniste" aux élections européennes en compagnie d'Alain Soral, qui n'avait pas été interdite malgré des demandes répétées, notamment d'élus de droite. Aujourd'hui, de nombreuses voix s'élèvent pour mettre en garde ceux qui souhaiteraient qu'antisémitisme et antisionisme soient punis de la même manière. "Lorsque nous sommes sur des combats aussi essentiels, il n'est pas interdit de convoquer la sagesse", a déclaré l'ancien ministre socialiste de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, mardi, sur France Inter. "Il n'est pas nécessaire, pour condamner des délits comme l'antisémitisme, de donner le sentiment qu'on est en train d'instaurer le délit d'opinion. Lorsqu'on a en face de nous des antisionistes, il faut leur demander ce qu'est leur antisionisme." Une position partagée par le philosophe Raphaël Enthoven : "l'antisioniste n'est pas toujours antisémite. Il l'est parfois. Et son antisionisme, alors, est un cache-sexe."
Donc :
— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) 18 février 2019
1) L'antisioniste n'est pas toujours antisémite.
2) Il l'est parfois. Et son antisionisme, alors, est un cache-sexe.
3) La haine de la Burka ≠ (toujours) islamophobie, mais...
4) Parfois la haine de la burka est le cache-sexe de l'islamophobie.
Voilà.
"C'est au juge" de trancher. Sylvain Maillard lui-même reconnaît d'ailleurs que "critiquer la politique" d'Israël, "la construction du mur ou la colonisation", doit rester possible. Selon lui, c'est "critiquer l'existence même d'Israël [qui] doit être interdit. Ses détracteurs lui opposent que ce cas de figure est d'ores et déjà prévu par la loi : aujourd'hui, il est tout à fait possible de condamner des propos antisionistes lorsque ceux-ci revêtent un caractère antisémite. "C'est au juge, et non au législateur, de faire ressortir au cas par cas l'intention raciste", a souligné la députée MoDem et ancienne magistrate Laurence Vichnievsky sur Twitter.
L'antisionisme n'est pas un délit, sauf lorsqu'il cache l'antisémitisme. C'est au juge, et non au législateur, de faire ressortir au cas par cas l'intention raciste #antisemitisme#racisme
— Laurence Vichnievsky (@LVichnievsky) 18 février 2019