Y a-t-il deux féminismes irréconciliables ? Depuis quelques années, les sujets de dissensions sont de plus en plus nombreux au sein du mouvement féministe que ce soit sur la place de la religion ou de la couleur de peau. De plus en plus de "courants" se positionnent en opposition les uns des autres. Militante "historique" du MLF, Martine Storti appelle dans un livre Pour un féminisme universel (Seuil) à "sortir d'une approche binaire et manichéenne", explique-t-elle sur Europe 1. Invitée de Patrick Cohen, elle rappelle qu'il "n'y a pas d'un côté le bien et de l'autre le mal."
"Dans les deux cas, on a une réécriture et une reconstruction de l'histoire"
"J'essaye de sortir d'une sorte d'étouffement de deux dogmatismes concurrents", explique la militante féministe, qui a été professeure de philosophie. "D'un coté, il y a des gens qui au nom de l'antiracisme, et bien évidemment qu'il faut être antiraciste et lutter contre les restes de la colonisation, qualifient toutes les féministes blanches de racistes. D'un autre coté, il y a ceux et celles qui brandissent matin midi et soir la République et qui expliquent que la République a toujours été pour l'égalité femme-homme. Donc, dans les deux cas, on a une réécriture et une reconstruction de l'histoire."
"Ces dogmatismes se renforcent l'un et l'autre par une espèce de jeu de ping-pong", affirme-t-elle. Ainsi, Martine Storti appelle à un "féminisme universel". "Il y a des femmes qui partout dans le monde se battent pour les mêmes choses, pour l'égalité, pour la liberté, l'autonomie, pour ne pas dépendre de tel ou tel, pour ne pas être violé, pour ne pas être harcelé, pour l’égalité des salaires, pour exister : pour pouvoir aller jusqu'au bout d'elles-mêmes", explique la journaliste. "Je pense que le féminisme, c'est ça. Ça ne veut pas dire que les femmes se battent toutes de la même manière, mais les objectifs sont les mêmes : universel ne veut pas dire uniforme."
"Pour les femmes, le chemin risque d'être encore très long"
"Le féminisme universel est porté par les mêmes valeurs, mais surtout les mêmes objectifs. La liberté et l'égalité n'appartiennent pas à l'Occident et n'ont pas été créées par l'Occident. Elles sont juste un chemin pour être nous-mêmes", continue Martine Storti. "Ce n'est pas un chemin qui est déjà tracé. C'est un chemin qui se poursuit de génération en génération. Et pour les femmes, le chemin risque d'être encore très long".
La radicalité "existait déjà dans les années 1970"
En revanche, la philosophe refuse le terme de "féminisme blanc." "Mais il y a des blancs qui instrumentalisent le féminisme", dit-elle. De la même manière qu'elle refuse, comme le suggèrent plusieurs féministes "radicales" comme l'élue EELV Alice Coffin, de ne plus lire d’œuvres écrites par des hommes, elle reconnaît aussi "l'invisibilisation des femmes". "Je n'en peux plus des globalisations (...) mais certains hommes sont coupables de violences et ils sont trop nombreux !" continue Martine Storti
Interrogée sur cette radicalité du mouvement féministe, Martine Storti explique qu'elle "existait déjà dans les années 1970", et que plusieurs luttes menées à cette époque ne sont toujours pas gagnées. "Il y a une continuité. Si je compare la situation des femmes d'aujourd'hui à celles du début des années 1970, évidemment que je trouve qu’il y a du progrès et des changements positifs, mais regardez la question du viol et des violences : on s'est battues dans les années 1970 pour que le viol soit considéré comme un crime par les cours d’assises. Cinquante ans après, le viol n’a pas disparu et MeToo nous le montre encore !"