Elles s'appellent Barbara, Martine, Myriam, Katia… Elles ont la vingtaine, la trentaine ou la cinquantaine passée et vivent dans la rue. La journaliste et réalisatrice, Claire Lajeunie, est allée à la rencontre de ces "femmes invisibles" comme elle les appelle. Pendant des mois, elle a suivi, caméra au poing, leur quotidien. Un documentaire, mais aussi un livre, ont vu le jour. Elle a expliqué sa démarche à Europe1.
» Comment est née l'envie de réaliser un documentaire sur les femmes SDF ?
Tout est parti d'une brève dans un journal avec des chiffres édifiants sur l'augmentation du nombre de SDF depuis 2011. Il y était aussi spécifié que 40 % des SDF sont des femmes : deux SDF sur cinq, j'ai trouvé ce chiffre énorme ! Je me suis aussi demandée : "mais où sont-elles, ces femmes SDF ?" Par la suite, j'ai réalisé qu'aucun documentaire ne leur avait été spécifiquement consacré. J'ai donc cherché à gratter sur un phénomène en augmentation en essayant d'éviter la caricature de la clocharde.
» Pourquoi ce titre, "femmes invisibles" ?
On ne voit pas ces femmes, elles se cachent. Pour plusieurs raisons : d'une part, elles n'ont pas envie de signifier leur situation, de raconter leur histoire. Pour elles, être invisible est aussi une façon de ne pas attirer l'attention, de ne pas faire de vagues, bref, d'éviter le danger. Car être une femme dans la rue est dangereux : il y a les viols, les agressions, le racket...
» Comment vous y êtes vous prise pour les rencontrer ?
Je ne voulais pas passer par des associations. Pour celles qui font la manche, cela a été relativement facile : je suis allée les voir directement pour leur proposer d'aller prendre un café. Je me suis fais jeter quelques fois mais certaines ont accepté et un lien s'est noué. Pour celles qui ne font pas la manche, cela a été plus difficile mais j'ai appris à les repérer dans les gares, les parkings…
» Qui sont-elles, alors, ces femmes SDF ?
J'ai rencontré des femmes qui me ressemblent, des femmes comme vous et moi, vraiment. Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais mais c'est ce que j'ai trouvé. Si elles ont quelque chose en commun, malgré des âges et des univers différents, c'est qu'à un moment donné dans leur vie, il y a eu une rupture. Une rupture amoureuse, familiale ou professionnelle qui a provoqué une bascule. Mais ces femmes ne se voient pas comme pas des victimes : elles sont combatives, volontaires, elles veulent s'en sortir. Ce sont des femmes sur le fil mais avec de la force.
» L'une d'elles vous a-t-elle particulièrement émue ?
Celle qui m'a le plus touchée, c'est Martine qui a 57 ans. Etre une personne âgée dans la rue, c'est plus difficile que pour une fille de 26 ans qui a plus d'énergie. Elle, elle s'endormait tout le temps. Il faut savoir que l'espérance de vie pour quelqu'un qui vit dans la rue, c'est 41 ans.
» Avez-vous gardé un lien avec elles ?
Je les vois encore toutes aujourd'hui, on a un lien très fort. Le livre que j'ai écrit pour prolonger le documentaire (Sur la Route des Invisibles, éditions Michalon), raconte mon histoire avec elles. Parmi celles qui ont vu le documentaire en avant-première, l'une, Myriam, m'a fait le plus beau compliment qui soit. Elle m'a dit : "je me suis trouvée belle".
» Qu'est ce que vous aimeriez que votre documentaire et votre livre changent ?
Je voudrais que cela envoie un signal, un message. Que les gens et les pouvoirs publics prennent conscience qu'au niveau de l'hébergement, le soir et la nuit, il n'y a rien pour ces femmes. Le 115, ça ne marche pas : elles en sont réduites aux cages d'escaliers et aux parkings. Il faut faire quelque chose.
» Le documentaire Femmes Invisibles sera diffusé mardi soir à 20h40 sur France 5.