Face à l'incertitude de l'interdiction du glyphosate au niveau européen, un comité d'experts où siègent des représentants des 28 Etats de l'Union se réunit ce jeudi et vendredi à Bruxelles pour faire évoluer le dossier. Pierre-Marie Aubert, spécialiste des politiques agricoles et alimentaires à l’IDDRI (Institut de développement durable et des relations internationales) était l'invité de Raphaëlle Duchemin dans Europe 1 Bonjour pour faire le point sur ce que l'on sait du glyphosate, cet herbicide présent dans beaucoup de produits des géants de l'agrochimie et accusé de provoquer le cancer.
Un modèle de culture qui accroît l'utilisation de pesticides. Le fait que l'interdiction ne soit pas clairement énoncée permet selon le spécialiste d'illustrer "les difficultés qu'ont eu la France et les autres pays européens à réduire leur consommation de pesticides en général. On est dix ans après le Grenelle de l'environnement, neuf ans après ce que l'on a appelé le plan écophyto et huit ans après la prolongation une directive européenne visant à l'utilisation raisonnée des pesticides. On s'était dit : 'en 2018, on sera à -50% si possible (d'utilisation de pesticides, ndlr.)', et on n'y est pas". Entre temps, les deux principaux pesticides utilisés en France ont "stagné, voire légèrement augmenté."
L'un des principaux facteurs explicatifs de ce pari raté se trouve dans le mode de culture, explique Pierre-Marie Aubert. "Les deux tiers des pesticides sont utilisés en grande culture (blé, orge, colza). Ces vingt dernières années, la tendance de ces cultures est marquée par une simplification, la succession culturale. La conséquence, c'est un accroissement de l'usage des pesticides."
"Aux premières loges". Pierre-Marie Aubert utilise le terme générique de pesticides à dessein : "Il ne faut pas se focaliser sur le glyphosate en tant que tel. Le glyphosate est une composante d'un cocktail de molécules qui sont utilisées, qui ont eu leur utilité et dont on voit bien aujourd'hui qu'on a du mal à se défaire." Mais le changement de modèle ne peut se faire qu'avec les agriculteurs qui sont "aux premières loges", même en termes d'exposition. Or, si l'on supprime le glyphosate sans mesure d'accompagnement à un céréalier, il admet que la situation serait " très compliquée."
Un nécessaire "accompagnement". "On sait agronomiquement qu'on peut se passer d'un certain nombre de molécules", poursuit-il. Cela passe selon lui par une diversification, il faut "rediversifier les rotations, c'est-à-dire qu'on met plus de cultures sur les mêmes parcelles au fil des années. Pour les céréaliers, avoir trois cultures à gérer en termes de production puis de commercialisation, ce n'est pas la même chose que d'en avoir, sept, huit ou neuf. Si je suis agriculteur, il faut que je trouve des débouchés pour mes cultures et il faut qu'on m'accompagne pour mettre en place ces nouvelles cultures."