Laurent Prades, Notre Dame de Paris, PATRICK KOVARIK / AFP 1:12
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Anaïs Huet , modifié à
Laurent Prades est le régisseur du patrimoine de Notre-Dame de Paris. Alors que les flammes rongeaient la charpente de la cathédrale, il s'est attelé à sortir une à une les œuvres majeures qui se trouvaient entre ces murs.
INTERVIEW

Laurent Prades est l'un des tout premiers à être entré dans la cathédrale, lundi soir, alors que le feu avait déjà eu raison de la toiture, de la charpente du 13ème siècle, et de la majestueuse flèche. Régisseur du patrimoine de Notre-Dame de Paris, sa mission était de sortir, selon un plan d'urgence établi il y a un an, les œuvres majeures et les reliques qu'abritait l'édifice séculaire. Au micro de Nikos Aliagas, mercredi matin sur Europe 1, il raconte ce lundi soir où tout a basculé.

Où étiez-vous quand l'alerte a été donnée ?

Je n'étais pas sur place au moment où l'incendie a pris, j'étais déjà parti depuis une vingtaine de minutes. C'est l'un de mes collaborateurs qui était sur place qui m'a prévenu d'une annonce d'évacuation. Je me suis dit tout de suite que c'était sérieux, car je connais la procédure. Si, dans les cinq minutes qui suivent l'alerte, on n'a pas pu faire la levée de doute, on franchit un stade important.

J'ai eu un peu de mal à revenir parce que les rues de Paris étaient bouchées. J'ai pris un vélo derrière le musée d'Orsay, et là je recevais déjà des cendres sur la tête. Je me suis alors dit que ça devait être assez important… Et effectivement, en arrivant vers Notre-Dame, il y avait cet énorme panache de fumée qui couvrait entièrement Paris, vers l'Ouest et la Défense.

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Comment avez-vous réagi en entrant dans la cathédrale en feu ?

Nous avons pu pénétrer à l'intérieur avec les pompiers. Il était important que l'on y aille car il y avait des éléments absolument majeurs à l'intérieur de la cathédrale. Il était prévu que nous les sauvions dans le cas d'un tel sinistre, ce que l'on espérait bien sûr n'avoir jamais à faire.

On a été équipés de casques de pompiers, ceux-ci nous guidaient dans la fumée. Il y avait des morceaux de bois incandescents qui tombaient un peu partout, des voûtes du chœur, de la nef… C'était très impressionnant. Quand on redécouvre la cathédrale dans cet état, on a une grosse boule au ventre. Voir la nef jonchée de poutres calcinées, de voir les voûtes percées, de voir le ciel depuis le sol de la nef…

La première émotion, c'est bien évidemment la tristesse, et peut-être une certaine forme d'angoisse, mais l'action et l'urgence font qu'extrêmement vite, on se ressaisit et on se met à l'œuvre. Après l'effroi, c'est le sang-froid qui revient.

Étiez-vous préparé à un tel drame ?

Le ministère de la Culture nous a demandé, il y a un peu plus d'un an, de mettre en place un plan d'urgence de sauvetage des œuvres. Nous nous y sommes attelés de manière extrêmement consciente et minutieuse. On a couché ce plan sur le papier de manière très précise, en se disant que ça n'arriverait jamais. C'est totalement invraisemblable. 

Le plan de sauvetage des œuvres comprenait, dans un premier temps, le sauvetage d'une douzaine d'œuvres majeures. C'est exactement ce qui a été fait. Grâce au travail des pompiers, on a pu sauver d'autres œuvres à l'intérieur de la cathédrale, tant que celle-ci était accessible.

Entendu sur europe1 :
Il y a eu beaucoup de miracles pendant cet incendie

A-t-on perdu des œuvres majeures dans l'incendie ?

Nous n'avons pas perdu d'œuvres majeures. La seule œuvre que l'on pourrait qualifier de majeure que l'on ait perdu, c'est l'autel qui était à la croisée des transepts, puisqu'une grande partie de la charpente et de la flèche s'est effondrée dessus. Il s'agissait d'un énorme cube de bronze que le cardinal Lustiger avait mis en place en 1989. Il a été écrasé par la pression.

Mais il y a eu beaucoup de miracles pendant cet incendie. L'un d'eux est que les trois rosaces n'ont pas été touchées. On ne voit pas de trous dans les verrières. Il faudra maintenant pousser les expertises. Il est possible que des plombs aient souffert. Je suis aussi monté dans l'orgue mardi matin, lors de la toute première visite que nous avons faite avec les pompiers pour repérer les dégâts. Il n'a absolument pas été touché. Il est rempli de suie, et il faudra intégralement déposer les 8.000 tuyaux, et tout nettoyer. Mais il n'a pas été brûlé ou mouillé.

Les stalles sont sauvées, bien qu'imbibées d'eau. La clôture du chœur du 14ème siècle est sauvée. Les statues de la Pieta aussi. Tous les grands tableaux de Notre-Dame de Paris sont sauvés et n'ont pas reçu d'eau, bien qu'ils se soient trouvés dans une ambiance humide.

Pensez-vous que la cathédrale pourra être restaurée dans cinq ans, comme l'a annoncé Emmanuel Macron ?

C'est un challenge et une intention formidables. En France, nous avons l'intégralité des savoir-faire. Cet élan de générosité est merveilleux, exceptionnel et très émouvant. Tout le travail des architectes, dans les semaines qui viennent, va être de déterminer l'ampleur de la tâche.