Sept ans après le début de la crise migratoire en mer Méditerranée, l’Europe a connu un nouvel épisode de tensions avec l’Ocean Viking. Ce navire humanitaire, transportant plus de 200 migrants, est resté bloqué une vingtaine de jours en mer en raison du refus de l’Italie de l’accueillir, avant que le port de Toulon n’accepte son entrée vendredi 11 novembre. Invité de la matinale d’Europe 1, Stephen Smith, professeur d’études africaines à l’université Duke aux États-Unis, analyse cette problématique au micro de Dimitri Pavlenko.
La migration vers l’Europe, "une perte nette pour les pays africains"
Soulignant qu’aujourd’hui, "la croissance démographique dans les pays riches est essentiellement due à la migration", l’auteur d’un livre référence sur le sujet, La Ruée vers l’Europe (éditions Grasset), affirme que "ceux qui partent (d’Afrique) proviennent de la classe moyenne émergente (…) Il faut avoir une mise de départ entre 3.500 et 5.000 euros pour pouvoir tout mettre en place. Donc, ce ne sont pas les plus misérables qui partent, ce sont ceux qui s’en sortent. C’est une perte nette pour les pays africains", note-t-il sur Europe 1.
Stephen Smith souligne également ce paradoxe : quand une population en Afrique accède à un niveau de prospérité, qui reste modeste, elle a tendance à partir pour rejoindre l’Europe. Un constat qui ne vient toutefois pas remettre en cause l’aide au développement fournie par les pays riches aux États africains, et notamment les plus modestes. "Il faut passer par là parce que personne ne souhaite qu’une partie du monde, en l’occurrence l’Afrique subsaharienne, reste sous-développée", argumente le professeur américain.
La population africaine "va cesser de migrer en quantité importante"
Celui-ci dresse le parallèle avec la frontière États-Unis – Mexique, où désormais, il remarque que ce sont plutôt des personnes originaires d’Amérique centrale qui essayent de traverser la frontière. "Les Mexicains ont passé ce seuil de prospérité qui leur permet de rester chez eux, parmi les leurs, et d’y gagner leur vie. C’est toujours préférable à un exil, même si le niveau de vie reste inférieur. L’Afrique va passer par le même stade", assure l’universitaire au micro de Dimitri Pavlenko.
Selon lui, la population africaine "va d’abord migrer plus massivement et ensuite cesser de migrer en quantité importante". L’évolution démographique du continent, qui devrait passer de 1,4 milliard d’habitants aujourd’hui à 2,5 milliards d’individus "dans moins de 30 ans", pose la question de la cohabitation entre l’Afrique et l’Europe.
"Comment l’Europe va-t-elle cohabiter quand elle ne sera plus qu’une petite péninsule au nord de l’Afrique ?", s’interroge le chercheur, qui poursuit : "Il est inconcevable que la pression migratoire qui va s’exercer sur l’Europe puisse être assumée avec une non-politique, c’est-à-dire avec une politique qui regarde ailleurs et ne se réveille qu’au moment des drames".