"Aujourd'hui, la parole se libère" en matière de dénonciation de l'inceste. C'est le constat que fait Isabelle Debré, présidente de l'association l'Enfant bleu, trois semaines après l'éclatement de l'affaire Olivier Duhamel. La Familia Grande, le livre dans lequel Camille Kouchner accuse son ex-beau-père d'avoir agressé sexuellement son jumeau à la fin des années 1980, "met en lumière beaucoup de choses" dans lesquelles se reconnaissent d'autres victimes d'inceste, anonymes ou médiatiques, à l'image du député LREM Bruno Questel, qui a raconté sa propre histoire sur Twitter. Mais que peut la justice lorsque des dizaines d'années se sont écoulées ? Beaucoup, estime Isabelle Debré, appelant sur Europe 1 à faire évoluer la loi.
"Amnésie traumatique" ou "peur de casser une famille"
Isabelle Debré a fait partie des représentants associatifs reçus lundi par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti et le secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance, Adrien Taquet. Tous deux lui ont dit travailler "sur l'amélioration du droit" à la demande du président de la République, en étudiant notamment l'hypothèse de rendre imprescriptibles les crimes sexuels sur enfants, assure-t-elle.
"Cela fait déjà presque une vingtaine d'années que nous demandons à ce que la loi s'adapte à ce genre de crime", rappelle Isabelle Debré. "Nous le savons, très souvent, les victimes portent plainte très longtemps après. Soit c'est par amnésie traumatique, soit par peur de casser une famille." La prescription, d'abord de 10 ans à compter de la majorité de la victime, a été étendue à 20 ans en 2004 puis 30 ans en 2018, mais ces réformes ne sont pas applicables aux faits déjà prescrits.
Des enquêtes pour identifier "d'autres victimes" ?
Interrogée sur la difficulté de la police et de la justice à récolter des preuves lorsque des décennies se sont écoulées - l'un des arguments des opposants à une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur - la présidente de l'Enfant bleu estime que le sujet est ailleurs. "Quand une victime s'exprime, il faut qu'il y ait enquête. (…) On ne peut pas lui dire : 'écoutez, non, il n'y a rien à faire'. Il doit y avoir enquête. Il doit y avoir procès. [Il ou elle] a besoin d'être reconnu comme victime."
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Au-delà du rôle de réparation que pourrait jouer la justice auprès des plaignants, Isabelle Debré invoque enfin la nécessité de poursuivre la libération de la parole autour de l'inceste. "Même si c'est prescrit, même s'il n'y a pas de preuves, il peut y avoir, à partir du moment où il y a enquête, d'autres victimes", juge-t-elle. "Je fais confiance aux parlementaires pour trouver la meilleure solution."