Au terme de l'enquête, son rôle dans les attentats du 13-Novembre ne semble pas être central. Pourtant, sa notoriété dépasse celle de certains des terroristes qui ont attaqué les terrasses parisiennes, la salle de concert du Bataclan et les abords du Stade de France. Dans les jours qui ont suivi ces tueries, Jawad Bendaoud a fourni un appartement de Seine-Saint-Denis, où se sont réfugiés deux des assaillants, dont leur chef présumé, Abdelhamid Abaaoud. À partir de mercredi, l'homme de 31 ans, raillé de toutes parts pour une interview surréaliste donnée peu avant son arrestation, comparaît pour "recel de malfaiteurs terroristes" devant le tribunal correctionnel de Paris. En récidive, il encourt jusqu'à six ans de prison.
"J'ai rendu service, monsieur". "J'ai appris qu'ils étaient chez moi. Que des individus sont retranchés chez moi. J'étais pas courant que c'était des terroristes." Le 18 novembre 2015 au petit matin, la France est encore sous le choc des attentats les plus meurtriers de son histoire, survenus cinq jours plus tôt. Suspendue aux chaînes d'informations qui rendent compte de l'assaut en cours à Saint-Denis, elle découvre le visage d'un jeune homme à la peau mate, sweat-shirt et blouson en cuir noir, éclairé par les projecteurs de BFMTV.
Visiblement agacé, Jawad Bendaoud prend les journalistes à partie. "On m'a demandé d'héberger deux personnes pendant trois jours et j'ai rendu service, monsieur. (...) Je ne sais pas d'où ils viennent. Si je savais, vous croyez que je les aurais hébergés ?" Ces quelques phrases prononcées, l'homme est arrêté par la police. Diffusée à l'antenne, la séquence fait le tour du web et l'objet de multiples détournements. Des millions de Français retiennent un prénom, affiché en bas de l'écran. L'interpellé devient "Jawad", le "logeur" des djihadistes.
"Rien à voir avec les attentats". C'est "celui dont on a ri après avoir trop pleuré", résume son avocat, Xavier Nogueras. Six jours après son arrestation, Jawad Bendaoud est mis en examen pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle en vue de commettre une action violente". L'enquête dure deux ans, et lui permet finalement d'échapper aux assises : les juges d'instruction estiment que s'il savait qu'il hébergeait certains auteurs des attentats, l'homme n'avait pas connaissance de leur projet d'attaques futures, visant notamment le quartier de la Défense.
Que savait précisément le "logeur" ? Le tribunal a trois semaines pour répondre à cette épineuse question. Depuis son arrestation, Jawad Bendaoud n'a cessé de clamer son innocence. "Je n'ai jamais parlé de ma vie avec un membre d'une cellule terroriste, je n'ai rien à voir avec les attentats, ni de loin ni de près", écrivait-il aux magistrats en mars 2016, expliquant avoir "consommé de la coke et du shit" le jour de son interpellation. "Mon nom a été sali, je fais l'objet de parodie, de blague (sic)", ajoutait-il.
300 à 350 parties civiles. Ces deux dernières années, l'homme a laissé éclater cette colère devant le tribunal de Bobigny à trois reprises. Jugé pour avoir mis le feu à sa cellule, pour trafic de cocaïne puis pour avoir insulté et menacé des policiers, Jawad Bendaoud est apparu quasiment méconnaissable, biceps saillants et cheveux longs. "Je ne suis pas un terro !", a-t-il notamment hurlé lors de l'un de ses procès. "Ça fait deux ans que je suis incarcéré pour rien du tout, vous avez fait de moi un coupable, j'étais au courant de rien", s'est-il emporté une autre fois.
L'audience parisienne, prévue pour durer trois semaines, s'annonce d'autant plus tendue qu'entre 300 et 350 parties civiles souhaitent se constituer. Parmi elles la ville de Saint-Denis, qui veut obtenir réparation du préjudice financier et moral subi, mais surtout les victimes des attaques du 13-Novembre et leurs familles, qui entrevoient une première décision de justice dans ce dossier.