Jean-François, 61 ans, a pris conscience il y a trois ans qu'il avait subi une agression sexuelle lors de son enfance. Douloureusement, avec l'aide de la psychothérapie et d'une partie de sa famille, sa parole s'est libérée, plusieurs dizaines d'années après les faits qu'il évoque. Depuis, comme il l'a raconté sur Europe 1 jeudi, il tente de se reconstruire en compagnie d'autres victimes du père Peyrard, accusé d'avoir abusé d'au moins 16 mineurs dans la région de Saint-Étienne durant les années 1970.
"C'est un mal-être que je traînais sans pouvoir mettre de cause ni de nom dessus. À la naissance de mes quatre enfants, j'ai fait de grosses dépressions. Je ne savais pas pourquoi. J'ai compris, avec mon psy, que je mettais au monde un possible abuseur.
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J'avais l'intime conviction, depuis des années, que j'avais été abusé pendant l'enfance, mais je n'arrivais pas à tirer de liens. Il y a quatre ans, mon psy a noté que j'avais subi des abus. Ensuite, c'est allé de mal en pis. J'ai tenté de mettre fin à mes jours. J'ai passé un an et demi dans des urgences et hôpitaux psychiatriques.
Des électrochocs pour stimuler la parole
J'ai subi 19 séances de sismothérapie, des séances d'électrochocs. C'est terrible. On vous endort, on vous met des électrodes sur la tête et on vous envoie de l'électricité jusqu'à provoquer une crise d'épilepsie. Ces séances participent à la révélation, mais il y a aussi la psychothérapie. C'est difficile de dire si c'est l'un ou si c'est l'autre qui a conduit à cette révélation.
Il existe un site, coabuse.fr, sur lequel les abusés peuvent témoigner. Il y a une petite centaine de victimes. On s'est rencontrés plusieurs fois. On n'a pas subi les mêmes choses. Moi, j'ai été sodomisé toute une nuit. D'autres ont été "simplement" touchés, effleurés, caressés. Moi, j'ai été plus vindicatif dans le groupe, parce que c'était atroce ce que j'avais subi et qu'il y avait 46 ans de stress post-traumatique. Quand je les ai rencontrés pour la première fois, je les ai tous invités à la maison, on a mangé ensemble. Enfin, je n'étais plus seul.
"C'est l'institution qui a produit des hommes comme ça"
Les autorités sont atteintes de procrastination. On remet à des mois ou à des années les témoignages des abusés. L'évêché de Saint-Etienne était au courant depuis 1998 car il y a eu des témoignages qui datent de cette époque. Les responsables de l'évêché n'ont pas saisi le procureur de la République.
Quant à ma famille, ma maman est décédée et mon père, mes frères et mes sœurs m'ont reproché d'avoir témoigné. Je ne les vois plus depuis que j'ai parlé. Heureusement, j'ai mon épouse, mes enfants, mes deux petites-filles. L'évêque est venu me parler, m'a écouté pleurer pendant quatre heures. À la fin, il m'a dit : 'Est-ce que vous avez menti ? Est-ce que vous avez augmenté les faits ?". Sur le coup, je n'ai rien répondu, j'étais sidéré.
[Le procès du Père Régis Peyrard s'ouvre mardi] Je n'attends pas grand-chose de ce procès car c'est le procès d'une personne, mais c'est l'institution qui a produit des hommes comme ça. J'ai appris que l'évêque ne serait pas présent au procès. Nous, on ne peut pas l'entendre. Quel courage…"
L'avis de Catherine Bonnet, pédopsychiatre et spécialiste des violences sexuelles sur mineurs
"D'une manière générale, en France, il y a une omerta sur tout ce qui concerne les violences sexuelles à l'encontre des garçons. Les hommes, à l'âge adulte, ont beaucoup plus de mal à le dévoiler que les filles. Ça fait peu de temps que l'Église se rend compte en France que c'est grave. Il y a cependant eu des progrès.
Il faut énormément de courage pour témoigner. Plus le dévoilement est tardif, plus c'est difficile. Le sentiment de solitude est énorme. Il faut absolument que l'Église soit formée à accueillir des témoignages. Il y a très peu témoignages et de dévoilements intentionnellement faux. Les études américaines donnent comme chiffre 0,1 pour 1.000, soit un faux témoignage sur mille.