Le monde judiciaire entame mercredi sa nouvelle journée "justice morte", une journée de mobilisation contre le projet de réforme de la justice qui sera présenté la semaine prochaine en conseil des ministres. Une revendication cristallise toutes les colères : la suppression de 307 tribunaux d'instance, chargés de la justice du quotidien comme le surendettement, les injonctions de payer ou encore les conflits liés à la consommation. C'est même devenu le symbole de cette contestation contre une réforme, disent ses détracteurs, qui éloignerait la justice des citoyens.
Aucun tribunal ne va fermer ses portes, assure pourtant la Chancellerie. Les justiciables pourront toujours déposer leurs requêtes au plus près de chez eux, mais celle-ci ne sera pas nécessairement traitée sur place car les chefs de juridiction auront la possibilité de rassembler certains types de contentieux très spécialisés dans certains tribunaux du département.
Un manque de concertation. Les magistrats inquiets ont le sentiment d'un manque de concertation. Les avocats, eux aussi, sont vent debout contre la réforme. "Prenez conscience, nous vous en supplions. Dans trois mois, vous aurez des textes applicables et vous ne pourrez plus bouger. Nous avons une loi qui va modifier la société profondément. Ça concerne tout", insiste Me Julie Taxil, avocate à Marseille.
Les pensions alimentaires traitées à la Caf. Les affaires familiales sont notamment concernées. La réforme risque de déshumaniser les procédures, craignent les avocats. "Aujourd'hui, on nous dit ce ne sera plus un juge qui décidera à qui on confie la garde des enfants, comment on fixe une pension alimentaire, comment on établit un droit de visite... Ce sera un officier ministériel", déplore l'avocat Me Pierre-Ann Laugery, bâtonnier des Hauts-de-Seine, interrogé par Europe 1. "Et quand on voudra faire une demande d'augmentation de pension alimentaire, ce ne sera plus via un juge mais à la Caisse d'allocations familiales (Caf), selon un barème", ajoute-t-il, alors que sa consœur marseillaise anticipe déjà les "décisions complètements déconnectées de la réalité des parties" avec "un barème appliqué sans autre pouvoir d'appréciation".
Et si l'objectif de la réforme est de rationaliser les procédures, le risque est aussi de sacrifier les droits et les libertés, craignent les avocats pénalistes. "Plus aucun magistrat ne contrôlera les mesures qui sont mises en place, telle la géolocalisation ou les écoutes téléphoniques. C'est la banalisation des mesures qui sont prises en matière d'état d'urgence et en matière de terrorisme, et ça va être appliqué à chacun de nous. C'est inadmissible", s'emporte Stéphanie Spireti, avocate à Marseille.
Les avocats ont pourtant déjà obtenu plusieurs modifications significatives du texte, tant au civil sur des sujets aussi sensibles que le divorce, qu'au pénal pour rester au plus près de leurs clients face à un juge. Des avancées qui ont fait dire, mardi, à leur principale représentante, Christiane Féral-Schuhl, la présidente du Conseil National des barreaux, que de nombreux points de blocages étaient levés, ce qui ne les empêchent pas de dénoncer la méthode de la ministre.
"Les justiciables vont se retrouver complètement démunis". "Les avocats n'auront plus leur mot à dire, mais surtout, les justiciables vont se retrouver, à mon avis, complètement démunis", poursuit Pierre-Ann Laugery. Le jour où l'on enlève les juges, on n'est plus dans la protection des libertés individuelles. On a été associés (à la réflexion) de façade. On a des avocats participants à cette soi-disant concertation, et finalement, on se rend compte que la loi était déjà quasiment écrite avant et qu'aujourd'hui on se moque de nous", regrette encore Pierre-Ann Laugery.