Magistrats, avocats et greffiers se sont mobilisés mardi contre une "justice au rabais", un an après une retentissante tribune qui avait étalé au grand jour leur "souffrance" au travail. Quelque 200 personnes se sont ainsi rassemblées sur le parvis du tribunal judiciaire (TJ) de Paris en scandant notamment "des moyens pour la justice" ou "justice au rabais, justice en danger", a constaté une journaliste de l'AFP. La présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) Kim Reuflet et l'ex-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) Céline Parisot ont lu le texte signé par 19 organisations syndicales ou professionnelles appelant à une "mobilisation générale contre une justice au rabais".
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Le "dilemme intenable" des magistrats
Cet appel dénonce le "dilemme intenable" auquel sont confrontés les magistrats : "juger vite mais mal ou juger bien mais dans des délais inacceptables". "Si des recrutements de magistrats et de fonctionnaires de greffe sont prévus pour 2023, ils sont largement insuffisants et aucun plan d'action clair n'a été défini comme l'exigerait pourtant l'urgence de la situation", ont rappelé Kim Reuflet et Céline Parisot. Interpellé à l'Assemblée nationale par des députés le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti a mis en avant son bilan en matière de justice.
"Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait. Nous avons réparé trente ans d'abandon humain, politique et budgétaire", a-t-il dit, "mais les choses ne se font pas en un claquement de doigt". Le ministre de la Justice a confirmé qu'un plan de programmation serait présenté prochainement pour sécuriser les promesses d'embauche de 1.500 magistrats pour les cinq ans à venir, mais aussi de 1.500 greffiers et autres, soit "10.000 personnels au total".
Des "grandes mesures de simplification" attendues
Éric Dupond-Moretti a aussi annoncé qu'il présenterait "dans quelques jours" ses propositions issues des Etats généraux de la Justice, avec "de grandes mesures de simplification" en matière civile et pénale. Outre Paris, des rassemblements à Strasbourg, où environ 150 personnes dont le président du tribunal judiciaire se sont réunies, ainsi qu'à Pontoise, Toulouse, Foix, Montpellier ou Nice, où "le tribunal a fonctionné au ralenti". "Des affaires ont été renvoyées à Nice comme à Grasse", a indiqué le juge Côme Jacquemin, membre du SM.
A Bordeaux, siège de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), il n'y a pas eu en revanche de rassemblement. "Les collègues, tant magistrats que fonctionnaires, n'ont même pas l'énergie d'être dans une mobilisation", a expliqué Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier, vice-procureure et représentante de l'USM. Son collègue Denis Roucou, premier vice-président du tribunal et représentant du SM, a évoqué "une lassitude grandissante".
Un "état de délabrement avancé de l'institution
Il y a tout juste un an, la tribune signée par 3.000 magistrats avait créé un électrochoc et alerté sur les conditions de travail d'une institution rongée par une "grave perte de sens". Ecrit après le suicide d'une jeune collègue, le texte a aujourd'hui été paraphé par près de 8.000 magistrats, auditeurs de justice et greffiers. Lancées par le gouvernement, les consultations des Etats généraux de la justice ont conforté ce diagnostic en concluant à "l'état de délabrement avancé" de l'institution.
La tribune des 3.000 a "permis d'enclencher de nombreuses actions", assure-t-on à la Chancellerie. En décembre 2021, magistrats et greffiers étaient déjà descendus dans la rue pour dire la "désespérance" de ceux qui rendent la justice au quotidien. Plus récemment, mi-octobre, le décès d'une magistrate de 44 ans, Marie Truchet, en pleine audience de comparution immédiate à Nanterre a provoqué une nouvelle onde de choc. Une minute de silence a été observée dans plusieurs juridictions et l'USM a pointé les conditions de travail "particulièrement difficiles" à Nanterre.
Jeudi dernier, ce tribunal a reçu la visite, rarissime, et le soutien des deux plus hauts magistrats français, le premier président de la Cour de Cassation Christophe Soulard et le procureur général près la Cour de Cassation François Molins. "Le constat de la souffrance du monde judiciaire n'est plus tabou", avait assuré à l'AFP François Molins. "On en parle à tous les échelons judiciaires. Mais au-delà de ce constat, est-ce qu'il y a des choses qui avancent ?"