C'est la petite idée qui monte, à gauche comme à droite : et si l'on étendait la déchéance de nationalité à TOUS les Français, en cas d'actes terroristes. Pour l'heure, une telle sanction n'est possible que pour les binationaux ayant acquis la nationalité française. Et la proposition de l'exécutif de l'étendre aux binationaux nés Français, en l'inscrivant même dans la Constitution, a provoqué une tempête de réactions.
Et pour cause : la mesure entraînerait une certaine forme de stigmatisation. Certes, seules les personnes définitivement condamnées pour actes terroristes seraient concernés par cette extension de la déchéance de nationalité. Mais symboliquement, la mesure instaurerait une différence de traitement entre les binationaux et les nationaux tout court, qui ne seraient pas concernés, même s'ils s'avèrent être terroristes. Mais est-il possible de faire autrement ? Si elle pose certains problèmes philosophiques, il n'existe, en théorie, aucun obstacle juridique majeur à l'extension d'une telle sanction à tous les Français, y compris les "mono-nationaux". Décryptage.
De plus en plus de voix se font entendre. Dernier en date à envisager l'idée d'une déchéance ouverte à tous : Jean-Marie Le Guen. C'est "un élément qui est dans le débat", a convenu lundi le secrétaire d'Etat au Parlement sur iTélé. "Donc nous allons voir, effectivement, comment les choses sont possibles ou pas et comment le débat, à la fois juridique, mais aussi politique, va être mené à l'Assemblée nationale, c'est quelque chose d'important", a-t-il poursuivi. On peut "continuer sur la déchéance de nationalité (...) mais, à ce moment-là, il faut qu'elle soit ouverte à l'ensemble des Français", a également déclaré un peu plus tôt le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Même suggestion du président du groupe socialiste à l'Assemblée Bruno Le Roux, partisan d'un compromis concernant tous les "terroristes" français, "qu'ils soient binationaux ou pas".
La proposition a déjà été avancée la semaine dernière par le sénateur UDE Jean-Vincent Placé, et par la députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet. Le président de la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie Xavier Bertrand s'y est aussi rallié lundi.
" Tout individu a droit à une nationalité "
Une personne sans nationalité, c'est possible ? Pourtant, la semaine dernière, l'exécutif semblait écarter la mesure. Les "principes du droit international (...) interdisent de créer des situations d'apatridie (des personnes sans nationalité)", rappelait le Premier ministre Manuel Valls sur sa page Facebook, le 28 décembre. En réalité, le terme "interdire" est un peu excessif. La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 prévoit certes dans son article 15 que "Tout individu a droit à une nationalité". Mais cette Déclaration, aussi vénérable soit-elle, ne constitue pas un traité juridique contraignant. Il existe également une Convention adoptée par le Conseil de l’Europe en 1997. Mais la France ne l'a pas ratifiée.
La France a, en revanche, signé deux conventions onusiennes ouvrant potentiellement à des sanctions internationales : un texte relatif "au statut des apatrides" en date de 1954 et un autre "sur la réduction des cas d'apatridie", daté de 1961. Tous deux interdisent noir sur blanc la possibilité de créer des apatrides… mais avec des exceptions. Parmi elles, la possibilité offerte aux pays de déchoir de toute nationalité un individu ayant "un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat" ou ayant "manifesté de façon non douteuse, par son comportement, sa détermination de répudier son allégeance envers l'Etat contractant". Ce qui pourrait, en théorie, s'appliquer aux terroristes combattant pour Daech.
La seule mesure véritablement contraignante est une loi… française, votée en 1998, venue compléter l’article 25 du Code civil. Celle-ci interdit bien de créer un apatride. Mais ce n'est qu'une loi, elle peut donc être remplacée si le Parlement le décide.
" Une punition plus primitive encore que la torture "
Y a-t-il une autre alternative ? Il n'existe donc aucun obstacle juridique majeur. Mais voter une telle sanction n'en resterait pas moins un choix philosophiquement lourd. L'absence totale de nationalité entraîne en effet des conséquences radicales : obligation de quitter le territoire, donc interdiction d'y résider, impossibilité d'y avoir un compte en banque, d'y scolariser ses enfants, d'y travailler etc. Mais aussi perte de toute protection : un apatride n'est protégé par aucune loi, aucune police, aucun tribunal. Saisie au sujet d'un déserteur en 1958, la Cour suprême des Etats-Unis avait qualifié pareille sanction de "traitement inhumain et dégradant", dans un avis inhumé par le Nouvel Obs. La privation de nationalité constitue "une forme de punition plus primitive encore que la torture en tant qu'elle détruit l'existence politique de l'individu", le privant du "droit d'avoir des droits", expliquait à l'époque les juges.
Pour éviter d'avoir à assumer un tel choix, certains préfèrent donc prôner une peine "d'indignité nationale". Une telle sanction a déjà existé en France, entre 1944 et 1951, à l'encontre des Français accusés d'avoir collaboré avec les nazis. Le principe : la perte de nombreux droits, comme celui de voter, de se présenter à une élection, de travailler dans la fonction publique ou semi-publique, de diriger une entreprise ou de porter une arme.
Jean-Christophe Cambadélis la considère comme la "première piste" à considérer. Bruno Le Roux, patron des députés PS, la "préfèrerait" à la déchéance de nationalité. En janvier dernier, après les attentats de janvier, feu UMP l'avait également brandie dans ses 12 propositions face au terrorisme. La mesure avait même été débattue à l'Assemblée en avril dernier. Mais elle a été rejetée. Raison invoquée, à l'époque, par le président PS de la commission des Lois, Jean-Jacques Urvoas : cette peine risque "d'alimenter la 'martyrologie djihadiste' en étant vécue comme une confirmation glorieuse de la non-appartenance à la communauté nationale".