Pendant quelques semaines, Jérôme Cahuzac a cru qu’il pourrait s’en sortir, que les révélations de Médiapart, le 4 décembre 2012, sur ses comptes en Suisse, n’entraîneraient pas sa chute. "Rien dans l’article ne me semblait de nature à prouver quoique ce soit", confie-t-il ce mardi après-midi à la barre de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. De fausses informations se mêlent aux vraies. Il ignore surtout que le site d’information détient le fameux enregistrement laissé par erreur sur le répondeur d’un opposant politique. Alors, avec l’énergie d’un condamné, il nie en bloc lorsque les journalistes viennent l’interroger. "Il y a évidemment la volonté de sauver ma vie. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi un travail auquel je crois".
Il nie avec la même vigueur quand, au lendemain des révélations, François Hollande lui demande avec son premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, des explications. "Je réponds 'c’est des conneries', en un sens ce n’était pas faux", lâche-t-il ironiquement. Avant d’avouer avoir été surpris par leur question. Pourquoi s’étonne le président du tribunal, celle-ci semble normale après une telle mise en cause. L’ancien homme politique élude, multiplie les digressions. En bon orateur, il fait monter le suspense comme il l’avait déjà fait lors de ses révélations sur Michel Rocard. Puis avoue avoir eu un second entretien avec le président de la République, peu avant celui déjà connu avec le chef du gouvernement. Il le sait, ses propos ne vont pas passer "inaperçus" mais qu’importe, il est "dans une démarche de vérité". Et ne compte pas protéger ses anciens amis politiques qui lui ont tourné le dos. François Hollande le premier.
" Il n’a pas commis de faute politique "
Que s’est-il passé pendant cet entretien ? "Les conversations en tête-à-tête appartiennent au Président." Jérôme Cahuzac affirme cependant que François Hollande ne lui a jamais clairement posé la question sur la détention d’un compte à l’étranger. "Si j’ai menti, c’est par omission." De quoi ont-ils parlé alors ? Et pourquoi ressort-il de cet entretien avec "la conviction qu' [il] doit continuer à faire ce qu' [il] fait"? Entre les lignes, l'ancien ministre du Budget sous-entend que François Hollande lui aurait demandé de "tenir", au moins jusqu’à la fin de l’année, pour notamment boucler la loi de finances.
Chaque mot qui sort de la bouche de Jérôme Cahuzac est savamment choisi, maintenant l’ambigüité. Parler sans trop en dire, juste ce qu’il faut pour que le doute s’immisce, tel est son crédo depuis l’ouverture de son procès. Citer le Président tout en le disculpant. "Il n’a pas commis de faute politique, humainement, c’est une autre histoire", assure-t-il. "Il a agi de telle sorte que ma vie a été broyée." Il avait fait exactement la même chose lundi dernier avec Michel Rocard, assurant que ses comptes en Suisse servaient à financer son activité politique mais qu’il ne savait rien.
" Mes enfants refusent d’aller au restaurant avec moi "
Malgré l’énergie déployée à nier l’existence de fonds à l’étranger, l’étau se resserre. "Ce furent quatre mois d’une dureté physique et morale indescriptible", confie-t-il. En mars, Jérôme Cahuzac est convaincu qu’il ne peut plus échapper à la justice. "Je sais qu’il faut que je prenne une décision. Soit nier, soit avouer, soit une autre. Je choisis l’autre." A quoi fait-il référence ? Les sanglots s’étouffent dans sa gorge. Les mots sont de plus en plus rares. Accroché au pupitre comme par peur de défaillir, Jérôme Cahuzac ne parvient à retenir ses larmes. Le tribunal l’a bien compris, cette autre solution à laquelle il fait référence, sans jamais prononcer son nom, c’est le suicide. "Je n’ai jamais aussi bien dormi que cette nuit-là." Le président suspend l’audience quelques minutes, le temps pour lui de reprendre ses esprits. Finalement, c’est "une personne très cher", passée à l’improviste le lendemain qui "comprend" et le fait changer d’avis.
Le 19 mars, Jérôme Cahuzac démissionne du gouvernement et passe aux aveux le 2 avril, sur les conseils de son "ami" Jean Veil, qui deviendra par la suite son avocat dans ce dossier. "J’ai dit les choses et depuis trois ans j’en paye le prix." Désormais, il rase les murs et a "pris l’habitude de marcher les yeux baissés". Il ne va plus ni au théâtre ni à l’opéra alors qu’il "adore ça". "Mes enfants refusent d’aller au restaurant avec moi, ils ne supportent pas ce qu'il s'y passe." Il essuie régulièrement des insultes et des regards en coin. Quand il est seul, c'est "pénible", accompagné "c'est atroce". Son cadet s’est même vu refuser un emploi "dans une grande entreprise française" à cause de son nom. "Lui, il n’y est pour rien", martèle-t-il, las.
Pour ne pas sombrer, ni médicaments, ni psy, mais du sport à haute dose et un retrait de l'agitation parisienne. "Les endroits où je suis bien, c’est là où je suis seul. C’est pour ça que je suis devenu résident corse." Comment explique-t-il les réactions aussi épidermiques qu'il a suscité? "Ils ont de la haine pour quelqu’un qui symbolise à leurs yeux tout ce dont ils souffrent. Je suis responsable d’une partie, pas de tout". Une double peine, en somme, avant celle que rendra le tribunal.