Le gouvernement aura fort à faire pour éteindre l'incendie qui menace. La présentation du projet de loi asile et immigration, mercredi, en conseil des ministres, ne s'annonce pas sous les meilleures auspices. Du côté de l'hémicycle, on se prépare déjà à des débats musclés. Et les élus de la majorité ne devraient pas être les derniers pour déposer des amendements afin de modifier le texte. Mais la grogne s'étend également aux associations et aux acteurs de l'asile, l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (ofpra) et la cour nationale du droit d'asile (CNDA) en tête.
Grève mercredi à l'Ofpra. À l'Ofpra, qui recueille et statue sur les demandes d'asile en première instance, les syndicats ASYL et CGT ont déposé un préavis de grève pour mercredi. "Pour nous, l'objectif principal de ce texte est de dissuader les demandeurs de s'adresser à l'Ofpra", résume Sylvie Charvin. La responsable CGT-Ofpra n'en finit pas de citer les dispositions qui inquiètent : la réduction des délais de présentation d'une demande d'asile après l'entrée sur le territoire de 120 à 90 jours, la remise en cause du caractère suspensif d'une demande de recours (un débouté pourrait donc être expulsé alors même qu'il a déposé un recours) ou encore "toute une série de mesures techniques" qui pourraient mettre des bâtons dans les roues des demandeurs d'asile. Parmi elles, le fait que le premier choix de langue fait en préfecture soit opposable au demandeur tout au long de la procédure, quand bien même il aurait été fait par erreur à la suite d'une incompréhension.
" Actuellement, c'est déjà l'usine [à la CNDA], avec des audiences de 35 minutes en moyenne par dossier. Le projet de loi vise à accélérer encore les procédures. "
La CNDA en grève depuis une semaine. Du côté de la Cour nationale du droit d'asile, les rapporteurs, chargés de l'instruction des dossiers de recours des déboutés du droit d'asile, sont en grève depuis déjà une semaine. Et dénoncent, eux aussi, un projet de loi qui dégradera des conditions de travail déjà très difficiles. "En moyenne, un rapporteur doit traiter 325 dossiers par an, soit entre deux et trois par jour", détaille Nathan Sautreuil, secrétaire du syndicat des personnels du conseil d'État et de la CNDA (Spice). "C'est considérable, d'autant que les enjeux sont très forts et qu'on n'a pas le droit à l'erreur. Actuellement, c'est déjà l'usine, avec des audiences de 35 minutes en moyenne par dossier. Le projet de loi vise à accélérer encore les procédures." Ce qui serait, dans la plupart des cas, purement et simplement "infaisable", souligne le représentant syndical. D'autant que les rapporteurs grévistes de la CNDA luttent par ailleurs pour plus de reconnaissance, alors qu'ils sont majoritairement contractuels et estiment les formations et la prise en compte de leurs risques psycho-sociaux insuffisants.
"Un temps minimum" pour les "destinées humaines". L'argument principal opposé par le gouvernement à ces récriminations est qu'il faut statuer vite, afin de sortir les demandeurs d'asile de situations souvent précaires, voire indignes, et de leur permettre de suivre plus tôt des parcours d'intégration. Un argument "fallacieux", pour Sylvie Charvin. "Aujourd'hui, le délai moyen de traitement en première instance est de trois mois. Rendre une décision motivée en trois mois, ce n'est pas indécent. Par ailleurs, laisser 120 jours pour déposer une demande à quelqu'un qui ne connaît pas le pays, pas la procédure, pas la langue parfois et ne sait même pas ce qu'est ni où se trouve une préfecture, ça n'est pas trop. Il faut un temps minimum. On parle de destinées humaines, là."
" Le projet de loi est résolument répressif, et penche vers une logique de contrôle, de tri et d'expulsion des personnes migrantes. "
Absence de consultation. À la CNDA aussi, on rejette l'argumentaire de l'exécutif. "Il faut traiter les demandes dans un délai raisonnable. Mais pas si restreint que cela impacte négativement les demandeurs d'asile", martèle Nathan Sautreuil. "Ces personnes doivent voir avocats, médecins, psychiatres, qui parfois vont apporter des pièces décisives au dossier. Cela prend du temps." Par ailleurs, l'absence de consultation est vécue douloureusement par les personnels de l'Ofpra. "On nous a présenté le projet lundi 12 février seulement", regrette Sylvie Charvin. "Quand le Premier ministre a reçu les associations en janvier, nous avions demandé les grandes lignes du texte, en vain. Maintenant, on aimerait surtout un dialogue avec le législateur."
"Un projet résolument répressif". Les associations avaient bel et bien été reçues le mois dernier. Elles ne sont pas plus satisfaites pour autant. "Le projet de loi est résolument un projet répressif, dont le centre de gravité penche considérablement vers une logique de contrôle, de tri et d'expulsion des personnes migrantes", assène Jean-Claude Mas, secrétaire général de la CIMADE, à Europe 1. L'association d'aide aux migrants et aux demandeurs d'asile réclame aujourd'hui le retrait pur et simple du texte. En espérant, à tout le moins, qu'il soit amendé par les parlementaires.
Manifestations. Elle n'est pas la seule. À l'appel du BAAM, le bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants, une manifestation est prévue mercredi à 18h30, place Saint Michel à Paris. Elle doit être suivie par nombre de collectifs et d'associations. De leur côté, les grévistes de l'Ofpra et de la CNDA ont prévu d'aller se faire entendre dès le matin, pendant la présentation du texte en conseil des ministres, devant le Conseil d'État.
Découvrez le reportage d'Europe 1 dans un centre qui accueille les mineurs isolés étrangers