Transports, voie publique, gares : la vidéosurveillance algorithmique va s'offrir un baptême grandeur nature aux Jeux olympiques de Paris, sous l'œil inquiet de ses détracteurs qui voient dans l'expérimentation prévue jusqu'en 2025 un prélude à sa généralisation. Ces caméras "augmentées" équipées de logiciels d'analyse d'images "ont pour finalité de détecter en temps réel des événements prédéterminés", a défini la loi "Jeux Olympiques et paralympiques" adoptée par le Parlement mi-avril 2023.
Un outil décrié
Ce texte autorise le recours à la vidéosurveillance algorithmique (VSA) dans huit situations, notamment pour repérer des départs de feu, des mouvements de foule, des objets abandonnés, la présence d'un véhicule ou d'une personne dans une zone interdite en vue d'alerter pompiers, policiers ou gendarmes. Elle pourra être expérimentée pour les "manifestations sportives, récréatives ou culturelles" qui seraient "particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes", encadre la loi.
Mais le déploiement de cet outil est vivement décrié par des associations de défense des libertés individuelles, qui jugent qu'elle "ouvre la voie" à des technologies "toujours plus intrusives" comme la "reconnaissance faciale", selon Katia Roux, chargée de plaidoyer chez Amnesty International France. Aucune des solutions proposées par les quatre sociétés retenues par l'Etat ne permet la reconnaissance faciale, assure toutefois le ministère de l'Intérieur.
Et les événements nécessitant de recourir à la vidéosurveillance algorithmique feront l'objet d'un arrêté préfectoral précisant "la temporalité, la localisation et les motifs", souligne Beauvau. La société parisienne Wintics est l'une des quatre bénéficiaires du marché public de la VSA, pour un montant de 8 millions d'euros. Son cofondateur Mathias Houllier décrit à l'AFP le fonctionnement de son logiciel.
"Ombres chinoises"
Sur l'écran de son ordinateur, des images prétextes de vidéosurveillance d'une rue, enrichies de formes colorées pour délimiter des zones de stationnement interdit. "L'opérateur va sélectionner des véhicules qui ne doivent pas se trouver dans cette zone", détaille-t-il. Il paramètre ensuite un "seuil de déclenchement" de 20 secondes au-delà duquel une alerte est transmise pour "attirer l'attention de l'opérateur sur un événement".
Le logiciel "n'analyse pas les visages, ne lit pas les plaques d'immatriculation, il n'a pas recours à des méthodes d'identification, il va seulement détourer des objets comme des systèmes d'ombres chinoises", assure Mathias Houllier. Des tests de paramétrage du logiciel ont eu lieu en mars lors de deux concerts du groupe Depeche Mode à Paris. D'autres opérations du même type avec la SNCF et la RATP avaient été annoncées par Beauvau.
Le nombre des caméras "intelligentes" encore inconnu
Mi-février, le ministère a jugé qu'il était encore "trop tôt" pour évaluer le nombre des caméras dites "intelligentes" qui seront déployées lors des JO-2024. Collèges, casernes de pompiers ou établissements départementaux, le département des Yvelines a installé depuis 2019, dans ou aux abords de 150 sites, 3.255 caméras de vidéosurveillance équipées d'un dispositif algorithmique anti-intrusion.
La nuit, lorsqu'un individu traverse une ligne virtuelle dans l'image, il entraîne une modification de pixels qui déclenche un signal sonore transmis au centre départemental de supervision des images de Versailles (CDSI). Devant le mur d'écrans sur lequel les images sont diffusées en temps réel, un agent transmet ensuite le signalement de l'individu aux services de police.
"Surenchère technologique"
"Un être humain ne peut pas regarder 3.255 alarmes en simultané, c'est impossible, donc ce système nous permet de cibler les intrusions", justifie Mme Damas. "Si on en arrive à la VSA, c'est que la vidéosurveillance s'est banalisée, qu'on l'a déployée de façon massive, mais que l'humain ne suffit plus pour la contrôler, donc on ajoute une couche algorithmique", réplique Thomas Dossus, sénateur Europe Ecologie-Les Verts.
L'élu dénonce une "surenchère technologique" et redoute "qu'on finisse par lever toutes les barrières". Montant de l'investissement du département : 20 millions d'euros pour tous les équipements, détaille Laurent Rochette, directeur général de Seine et Yvelines numérique. Le responsable avance un bilan de 42 interpellations en 2023 grâce à ce dispositif, qui doit être étendu à la voie publique, et insiste sur son aspect dissuasif.
"Il n'y a jamais eu d'évaluation indépendante, objective, qui prouve l'efficacité de ces technologies pour limiter la criminalité, pour lutter contre le terrorisme", rétorque Katia Roux, qui craint que les JO accélèrent leur déploiement. La militante d'Amnesty cite l'exemple des Jeux de Londres en 2012. Des technologies de surveillance, notamment la reconnaissance faciale, y avaient été expérimentées et "à la fin de l'événement, ces mesures dites exceptionnelles sont restées", note-t-elle. "La France s'insère malheureusement dans cette tendance en devenant avec les JO de Paris le premier État membre de l'UE à légaliser la vidéosurveillance algorithmique", s'inquiète Katia Roux.