Le baccalauréat est-il le dernier "rite de passage" de la jeunesse ? En anthropologie, un rite de passage se définit par une cérémonie symbolique qui officialise le passage d’un statut à un autre, d’un âge à un autre. C’est la reconnaissance par la société tout entière que notre vie prend une dimension nouvelle. Ce rite présuppose une initiation, un entraînement, qui doit nous préparer à affronter notre nouvelle vie.
Or, comme le remarque le psychosociologue Jean-Pierre Boutinet, auteur de L'Immaturité de la vie adulte, la France s’est vidée de ses rites au cours des dernières décennies. Le nombre de baptêmes, de confirmations et de mariages diminuent d’année en année et les cérémonies religieuses n’ont plus le même impact symbolique qu’auparavant. Le service militaire a disparu, tout comme le certificat de fin d’étude (après l’école primaire). Et il ne reste plus que les concours qui jalonnent notre scolarité pour symboliser le passage d’un statut à un autre, dont le premier vraiment important à l'échelle nationale est le baccalauréat. Joue-t-il pour autant le rôle d’un rite de passage ? Nous aide-t-il à grandir et nous prépare-t-il à vivre l’après ? Nous avons posé la question à Daniel Marcelli, pédopsychiatre et auteur de C'est donc ça, l'adolescence ?.
Peut-on considérer le bac comme un "rite de passage" pour la jeunesse ?
Il faut faire attention au "bla-bla psychologique". C’est un peu paresseux de définir le bac comme un rite de passage. En regardant de plus près le bac en lui-même, il n’a plus la valeur de sélection qu’il avait autrefois : 90% des candidats l’obtiennent, et près de 70% des jeunes d’une même génération. C’est certainement une porte d’entrée vers l’université, nécessaire, une étape de leur cursus. Mais il ne faut pas trop le surévaluer non plus. Il ne faut pas en faire le symbole qu’il était autrefois. Un rite de passage, c’est la reconnaissance officielle par la société d’un changement de statut. Or, je ne suis pas sûr que dans la tête des adolescents, le bac soit reconnu comme tel. C’est une nécessité, comme celle de se brosser les dents, rien de plus.
Au fait, pourquoi le bac s'appelle... "baccalauréat" ?
Mais le bac, et notamment sa préparation, ne permet-il pas de préparer les adolescents aux épreuves à venir ? Ne les fait-il pas grandir ?
Là oui, c’est autre chose. Le bac est la première vraie épreuve sur la route de notre jeunesse. Le brevet n’a pas la même importance, et ne demande pas la même préparation. En se préparant au bac, les adolescents se confrontent à un certain stress, celui de l’examen et celui d’être confronter à une échéance. Cela peut avoir une valeur initiatique dans notre société de compétition. Cela peut former à préparer des épreuves futures, des concours, des entretiens d’embauche, au fait de parler en public. À condition que cette préparation du bac entraîne du ‘bon’ stress, celui qui nous fait hésiter et nous pousse à réfléchir sans nous précipiter, dans nos moments d’inquiétude.
Mais le risque, pour une minorité, est de provoquer du mauvais stress, celui qui désorganise, celui qui nous fait nous décomposer et oublier tout ce que l’on a appris. Si notre préparation au bac fait ressortir ce stress-là, cela peut être l’occasion de mettre en place une stratégie de soin, avec des exercices de relaxation, un accompagnement psychologique etc.
Si le bac n’est pas un rite de passage, en reste-t-il aujourd’hui en France ?
On met un peu cette expression à toutes les sauces : lorsque l’on a son premier téléphone, lors de notre premier séjour linguistique, lorsque l’on a notre premier accident de mobylette… Je pense que ce terme est passé de mode. Dans notre société ouverte, il n’y a plus vraiment de rites figés. Cela peut être la première fois que l’on pose des posters ou des photos sur le mur de sa chambre, la première fois que l’on ferme la porte pour écouter sa musique/son émission, la première fois que l’on ouvre un compte Instagram… Notre société laisse la possibilité à chacun de fabriquer le sien.