Une dernière réforme de société, et un signal envoyé aux électeurs de gauche: le Parlement a voté l'allongement du délai de l'IVG, en adoptant un texte concocté par une députée d'opposition mais soutenu par la majorité. La proposition de loi rallonge de 12 à 14 semaines le délai légal de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), pour répondre à un manque de praticiens et à la fermeture progressive de centres IVG. Elle a été votée définitivement ce mercredi après-midi, via un ultime vote de l'Assemblée, au bout d'un long parcours parlementaire entamé en octobre 2020.
Faire fi des étiquettes politiques
Présenté par l'ex-députée LREM Albane Gaillot, devenue écologiste, le texte transpartisan a été poussé par le président des députés LREM Christophe Castaner. Rien n'était acquis et ce choix a pu être présenté comme une rare marque d'indépendance du groupe LREM vis-à-vis d'Emmanuel Macron, qui a plusieurs fois exprimé ses réticences sur le sujet. "Le parcours atypique de cette proposition de loi est une leçon à tirer sur le fonctionnement de nos institutions. Elle montre qu'il faut faire fi des étiquettes politiques. Quand une idée est bonne, elle n'est ni de droite, ni de gauche", a affirmé à l'AFP Albane Gaillot, qui ne se représentera pas lors des prochaines législatives.
Selon la députée socialiste Marie-Noëlle Battistel, 2.000 femmes seraient contraintes chaque année de se rendre à l'étranger pour pouvoir avorter car elles ont dépassé les délais légaux. Ce sont les "femmes les plus vulnérables, les très jeunes, les plus éloignées du système de soins, les femmes qui ont le moins accès à l'information sanitaire, celles qui n'ont pas de moyen de locomotion ou encore celles victimes de violences". La proposition de loi prévoit en outre d'étendre la pratique de l'IVG instrumentale aux sages-femmes. "Plus nombreuses que les médecins en France, elles peuvent déjà pratiquer les IVG par voie médicamenteuse depuis 2016", explique Albane Gaillot.
"Respecter la liberté des parlementaires"
Initialement, le texte prévoyait de supprimer la "clause de conscience spécifique" permettant à des médecins de refuser de pratiquer un avortement. Mais cette évolution a été rayée pour permettre à la proposition de loi d'avancer dans son parcours parlementaire. Le ministre de la Santé, favorable à titre personnel à l'allongement du délai de l'IVG, en avait fait un préalable.
Les prises de position sans équivoque du chef de l'Etat ont paru longtemps torpiller la réforme. Marquant son opposition dans une interview en juillet 2021, Emmanuel Macron avait encore estimé à son retour d'une visite au pape cet automne que "des délais supplémentaires ne sont pas neutres sur le traumatisme d'une femme". Il avait ajouté cependant "respect(er) la liberté des parlementaires". Ces propos lui avaient valu une volée de bois vert de la part des défenseurs des droits des femmes et c'est finalement Christophe Castaner qui décida de renverser la table, en reprenant la proposition de loi au compte des "marcheurs". Et ce, avant que le gouvernement ne fasse le dernier pas en l'inscrivant aussi à l'ordre du jour du Sénat.
La proposition de loi hérisse les militants anti IVG
Un trophée pour les LREM dont le centre de gravité politique à l'Assemblée est réputé pencher à gauche, tout du moins sur les questions de société. Cet allongement de la durée de l'IVG est l'un des petits cailloux semés en fin de quinquennat pour donner une orientation plus progressiste au bilan macroniste. La proposition de loi hérisse les militants anti avortement de l'Alliance Vita et une partie de la droite au Sénat et à l'Assemblée nationale, qui a donné de la voix dans les hémicycles et s'est essayée à l'obstruction parlementaire.
Dans un entretien au magazine Elle, la candidate LR à l'Élysée Valérie Pécresse a déploré avec le délai à 14 semaines "une fuite en avant qui détourne le regard du vrai problème: l'accès au centre d'IVG, l'absence de gynécologues et de sages-femmes (...) il faut garantir le libre choix des femmes". Sondage après sondage, les Français continuent à être très majoritairement en faveur de ce droit à l'IVG remis en cause ailleurs en Europe, notamment à l'Est. En France, aucun candidat n'a prévu d'y toucher.