Il ne reste presque plus rien du camp pour migrants de Grande-Synthe, dans le Nord, ravagé par un incendie lundi soir, après une rixe entre Kurdes et Afghans. Le site, ouvert en mars 2016 par la municipalité et Médecins sans frontières, se voulait exemplaire d'un point de vue sanitaire. Désormais, sur les cendres des 300 petits chalets en bois qui abritaient les migrants, la question des responsabilités, elle, brûle encore.
Que sait-on exactement des circonstances de l'incendie ?
L'incendie, extrêmement violent, s'est déclaré "en fin d'après-midi, vers 18h", affirme Olivier Caremelle, directeur de cabinet du maire écologiste Damien Carême. Une rixe entre Afghans et Kurdes, qui a d'abord fait dans l'après-midi six blessés à l'arme blanche, est à l'origine du sinistre, a affirmé le préfet du Nord Michel Lalande. "Il a dû y avoir des mises à feu volontaires en plusieurs endroits différents, ce n'est pas possible autrement", a déclaré de son côté Olivier Caremelle.
Selon plusieurs témoignages, la discorde est venue de l'augmentation du nombre d'Afghans, arrivés après le démantèlement de la "Jungle" de Calais, à 40 km de là. Les Afghans étaient mécontents d'être parqués dans les cuisines collectives tandis que les Kurdes dormaient dans des chalets dont le nombre n'a pas été accru. Les rixes entre migrants se sont poursuivies tard dans la nuit. Seuls quelque 70 chalets en bois sur les 300 que comptait le site, ainsi que quelques bâtiments collectifs, ont échappé aux flammes.
Comment en est-on arrivé là ?
Le sinistre n'est "pas lié" à des failles de sécurité, a insisté Olivier Caremelle. Un avis loin d'être partagé par Natacha Bouchart, maire Les Républicains de Calais. "Cet événement était annoncé", a rétorqué l'élu sur franceinfo, mardi. Cet incendie est "l'exemple que le gouvernement n'a pas su prendre en compte les événements qui se sont passés à Calais", a insisté Natacha Bouchart, dans une allusion aux nombreux incidents qui avaient émaillé le quotidien de la "Jungle" calaisienne. La maire LR a notamment dénoncé la surpopulation du camp de Grande-Synthe, prévu à l'origine pour 700 personnes et qui a, au fil des mois, accueilli 1.500 migrants. De fait, les conditions d'accueil se sont fortement dégradées. "Un camp ne doit pas dépasser une centaine de migrants", a martelé l'édile.
Interrogé par l'AFP mardi, le directeur général de l'association France terre d'asile, Pierre Henry, souligne l'augmentation des tensions au sein du camp de Grande-Synthe, après le démantèlement de Calais. "Un incendie n'est jamais prévisible mais (…) on savait qu'il y avait des risques", déplore-t-il. Même son de cloche du côté du député du Nord, Christian Hutin. Dans La Voix du Nord, mardi, il explique avoir senti arriver l'inéluctable. "Avec tous les acteurs que je rencontrais régulièrement, police, justice, associations, on constatait cette escalade de la violence. (…) La situation était devenue intenable car ce camp était géré par les passeurs à qui on a offert un rassemblement de migrants", dénonce-t-il.
Mi-mars, Bruno Le Roux, alors ministre de l'Intérieur, avait déclaré vouloir lancer le "démantèlement" du camp de Grande-Synthe "le plus rapidement possible". Le ministre s'était notamment inquiété de phénomènes "inacceptables", tels que "rançons" ou "prêts" pour "limiter l'accès" à des installations, comme les douches par exemple. Une idée immédiatement écartée par la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, qui déclarait plutôt vouloir diminuer la capacité d'accueil du camp "pour arriver à 700 personnes", contre 1.500 aujourd'hui.
Que vont devenir les migrants qui vivaient dans le camp ?
"Les migrants ont été évacués du camp et seront relogés dans des hébergements d'urgence", a assuré le préfet du Nord. Trois gymnases ont d'ores et déjà été mis à disposition par la ville de Grande-Synthe pour accueillir près de 500 migrants. Mais il reste encore un grand nombre de personnes à reloger, ce qui suscite l'inquiétude des associations sur place. "Le reste [des migrants] s'est caché dans la nature", s'est désolé Christian Salomé, de l’association L'Auberge, demandant au gouvernement d'ouvrir "un corridor humanitaire pour que les mineurs puissent rejoindre la Grande-Bretagne".
Mardi, le maire de Grande-Synthe a appelé les maires de la région à "la solidarité et à ouvrir des centres d'accueil" (CAO) dans leur commune. "Là où des migrants ont été accueillis (après le démantèlement de la "Jungle" de Calais, ndlr), cela s'est bien passé", a-t-il affirmé. "Dans l'urgence, il faut d'abord les remettre à l'abri, et nous sommes prêts à aider logistiquement. Mais il faut ensuite qu'il y ait une volonté très claire de les prendre en charge, et ce n'est pas vraiment le cas aujourd'hui", a pour sa part déclaré Corinne Torre, chef de mission France MSF.
Dans La Voix du Nord, Christian Hogard, responsable du Secours populaire et du village des enfants Copain du monde, a lancé un appel à la solidarité dans la région. "Face à l'urgence, les besoins sont nombreux : lits picots, couvertures, duvets, serviettes de toilettes, produits d'hygiène, vêtements, etc", énumère-t-il.
Au lendemain du gigantesque incendie, le préfet du Nord n'a pas fait de secret quant à l'avenir du camp de Grande-Synthe, jusqu'alors le seul en France à respecter les standards humanitaires internationaux : "Il sera impossible de remettre des cabanons à la place de ceux qui existaient auparavant".