Un jeune homme de 22 ans est mort mardi soir à Nantes après avoir été touché par balle par un policier lors d'un contrôle. Les circonstances de sa mort ont provoqué des violences urbaines dans trois quartiers sensibles de la ville. Mercredi soir, le procureur de Nantes a annoncé l'audition de quatre personnes et a lancé un appel à témoins.
Les principales informations à retenir :
- Un jeune homme de 22 ans a été tué par balle par un policier
- Des émeutes ont éclaté dans trois quartiers nantais à l'annonce de sa mort
- La version des témoins est très différente de celle de la police
- Nicole Belloubet a appelé au calme, tandis que Gérard Collomb a condamné les violences
Pourquoi ces violences urbaines ont-elles éclaté ?
Selon la Direction départementale de la Sécurité publique (DDSP), tout est parti d'un "contrôle diligenté par un équipage de six CRS suite à des infractions commises par un véhicule", mardi soir, vers 20h30, rue des Plantes, dans le quartier du Breil, à Nantes. L'identité de l'automobiliste n'étant "pas claire, les CRS ont reçu pour ordre de ramener le conducteur" au commissariat. Par ailleurs, selon un rapport rédigé par l'équipage de CRS, le jeune homme ne portait pas de ceinture.
Il aurait refusé d'obtempérer. Il aurait fait marche arrière et manqué de heurter un CRS. Sa voiture a fini sa course dans un muret. C'est là qu'un de ses collègues aurait tiré. "Un de ses collègues a fait feu et a touché le jeune homme qui est malheureusement décédé", a indiqué la DDSP. Selon des sources policières, le jeune aurait été touché à la carotide et serait mort à son arrivée à l'hôpital.
Une grande banderole a été installée non loin du lieu du drame, avec ces mots : "Ici, la police tue". (Crédit : François Coulon/Europe 1)
Sur place, la version des témoins semble bien différente. Le jeune homme "a juste voulu échapper au contrôle, et le policier a tiré sans aucune raison. Il n'y avait pas de menace. Il a juste fait marche arrière, mais il n'y avait pas de flic derrière la voiture. J'y étais, j'ai vu. Il y a même une personne qui a filmé toute la scène, qui l'a mise sur Facebook, mais on lui a effacé sa vidéo", assure Kamel, habitant du quartier, interrogé par Europe 1.
Europe 1 a retrouvé l'homme qui a filmé la scène, et a pu regarder la vidéo. "Ils étaient en train de contrôler le jeune homme, ils voulaient le ramener avec eux. Il a reculé, simplement ! Au même moment, ils ont tiré sur lui au niveau de la gorge", témoigne Moustapha. Il assure que le jeune homme aurait pu être sauvé si les forces de l'ordre n'avaient pas attendu aussi longtemps pour appeler le Samu ou les pompiers. "Ce sont des professionnels, ils auraient pu taser le jeune homme. On le tase, on tire sur les pneus, on utilise tous les moyens pour ne pas le tuer, pour éviter ça ! C'est une bavure, ils sont responsables ! C'est à eux de nous protéger et ils tuent nos enfants", éructe Moustapha.
Que s'est-il passé ensuite ?
Le tir du policier aurait aussitôt déclenché une réaction des jeunes du quartier, qui sont sortis en nombre et encagoulés. Moins d'une heure après la mort du jeune de 22 ans, le Breil s'embrase : des voitures, des poubelles et des abribus sont incendiés. Environ 200 policiers sont mobilisés et quadrillent le périmètre. Des jeunes lancent des projectiles et des cocktails Molotov en direction des forces de l'ordre, qui répliquent pas des gaz lacrymogènes.
La contagion s'étend à deux autres quartiers sensibles, Malakoff et Les Dervallières. Plusieurs commerces - une boulangerie, un salon de coiffure et un kebab - sont incendiés, ainsi que la mairie annexe, la Maison de justice et du droit, le pôle médical et la bibliothèque situés dans le même bâtiment.
Vers 2 heures du matin, la maire de Nantes Johanna Rolland prend la parole : "Ma première pensée, ce soir, va pour ce jeune, pour sa famille. La justice devra faire toute la lumière sur ce qui s'est passé ce soir. Mais l'urgence, c'est l'appel au calme". Cet appel a visiblement été entendu puisque le calme est revenu tard dans la nuit, vers 3 heures du matin, alors que les pompiers étaient toujours en intervention pour éteindre les flammes.
Que sait-on de la victime ?
Jusqu'ici, peu d'informations ont filtré sur l'identité de la victime. Ce jeune homme, qui venait juste de fêter ses 22 ans, se prénommait Aboubakar. Il vivait à Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d'Oise, et avait de la famille dans la région nantaise.
L'homme était connu des services de police pour avoir été impliqué dans huit affaires. La dernière avait conduit un juge d'instruction de Créteil à délivrer à son encontre un mandat d'arrêt en juin 2017. Il était recherché pour vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs. Dans ce contexte, il aurait peut-être préféré tenter de prendre la fuite, plutôt que d'être conduit au commissariat pour vérification approfondie de son identité et de son pedigree.
Où en est l'enquête ?
Selon une source policière, les émeutes n'ont provoqué aucune interpellation à ce stade. Concernant la mort du jeune homme, le SRPJ de Nantes et l'Inspection générale de la police nationale sont saisies de l'enquête. Ils devront "préciser la commission des faits et déterminer dans quelles circonstances le policier a été amené à faire usage de son arme", a indiqué le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès.
Mercredi soir, le procureur de Nantes a ajouté que quatre auditions étaient en cours et a lancé un appel à témoins. "Il y a une demi-heure, une personne s'est également présentée pour livrer un témoignage qui peut être utile pour les enquêteurs. Son audition est en cours", a-t-il indiqué vers 19h. Il n'a en revanche pas précisé si le conducteur avait reculé sur un fonctionnaire de police lors de sa tentative de fuite, comme évoqué par des sources proches de l'enquête.
Au vu du rapport rédigé par les six CRS, le syndicat de policiers Alliance assure que la légitime défense est incontestablement établi : "Le conducteur aurait pu tuer deux de nos collègues", explique le syndicat à Europe 1. D'après nos informations, les six CRS étaient encore entendu par la police des polices en fin d'après-midi.
"Il faut vérifier ce que les policiers disent. On ne peut pas abattre un homme comme ça ! Les habitants qui sont là-bas ne parlent pas d'un policier qui aurait été percuté", s'insurge Guy, qui vit dans le quartier des Dervallières depuis 12 ans. "J'attends que le SRPJ fasse son travail, qu'il mène l'enquête dans une totale neutralité", ajoute Francis, un Nantais."En attendant, il faut respecter la famille qui a demandé le calme. On fera le maximum pour que ça ne déborde pas". Mercredi après-midi, une marche blanche a été organisée pour saluer la mémoire du jeune homme.
Les réactions des politiques
Mercredi, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a appelé "au calme puisque l'État de droit sera pleinement respecté". Sur RTL, la ministre de la Justice a rappelé que le parquet et l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) avaient été saisis, "pour que toute la lumière soit faite dans la plus totale transparence" sur la mort du jeune homme.
De son côté, Gérard Collomb a condamné "avec la plus grande fermeté" les violences urbaines et les dégradations. "Tous les moyens nécessaires sont actuellement mobilisés, et le seront le temps qu'il faudra, pour apaiser la situation et prévenir tout nouvel incident", a assuré le ministre de l'Intérieur.