Le dossier est inflammable et le discours d'Emmanuel Macron très attendu. Le président de la République doit présenter vendredi son plan d'action contre les "séparatismes", notamment celui de l'islamisme radical. Le tout dans un contexte marqué par les critiques de la gauche, qui dénonce une stigmatisation à des fins électoralistes des musulmans, et par l'attentat au hachoir mené à Paris vendredi dernier. Au micro d'Europe 1, l'imam et recteur de la mosquée de Bordeaux Tareq Oubrou a lui aussi émis des réserves concernant ce plan d'action. Craignant un risque de stigmatisation des musulmans, il insiste sur l'application des lois déjà en place, et critique le flou du terme "séparatisme".
Pour le responsable religieux, "il est normal que l'Etat veille à l'unité de la nation (...) On ne peut que s'inscrire dans ce sens là, et tous les citoyens, notamment ceux de confession musulmane, doivent contribuer à ce projet d''unité". Et d'insister : "Tout ce qui divise notre nation doit être combattu".
"Le législateur doit faire attention"
"Il est dans la tradition française d'avoir des lois rationnelles et universelles", poursuit l'imam, tout en rappelant que "ce qui concerne aujourd'hui l'islamisme pourrait concerner aussi d'autres communautarismes". Aussi, estime-t-il, "le législateur doit faire attention quand il dépose un projet de loi car ce projet de loi va concerner toute la société". Or, poursuit-t-il, "le principe d'universalité d'une loi ne stigmatise pas une communauté particulière. Ce sont les principes du droit français sur lesquels les valeurs de la République ont été bâties. On ne peut pas trahir ces valeurs-là".
Car le risque de stigmatisation des musulmans de France est pointé par Tareq Oubrou. "Le problème n'est pas dans la loi, mais dans l'application des lois, et dans les discours politiques, intellectuels, médiatiques, qui stigmatisent d'avantage les musulmans, déjà vulnérables", explique l'invité d'Europe 1.
"La frontière entre communauté et communautarisme est très mince"
Par ailleurs, le recteur de la mosquée de Bordeaux regrette le choix des termes employés par l'exécutif. "Les mots 'séparatisme', 'islamisme politique', sont des concepts assez volatiles, complexes, instables", fait-il remarquer, et ce alors que "la réalité de la communauté musulmane est de plus en plus complexe". Et d'insister : "La frontière entre communauté et communautarisme est très mince. Qu'est-ce que c'est le communautarisme, à quel moment s'exprime-t-il ? Est-ce que c'est un délit ? On manipule des vocables difficiles à définir".
Tareq Oubrou appelle ainsi à "trouver un juste équilibre entre les libertés publiques et le respect de la vie en commun". "Je ne crains pas un débat", assure-t-il, mais "il faut bien nommer les choses". Et pour lui, le projet de loi pourrait ne pas suffire à s'attaquer à maux identifiés. "On a l'impression de combattre un fantôme. On fait un traitement symptomatique, on traite la douleur, mais il faut s'attaquer aux profondeurs, aux causes de la dérive islamiste", explique l'imam. Selon lui, il faut traiter en profondeur au niveau "de l'éducation, de la pédagogie". De plus, "on a déjà un arsenal de droit", note-t-il. Mais quand on fait une loi, "il faut avoir les moyens de son application".
"Adapter le droit canon musulman"
Vendredi, Emmanuel Macron devrait notamment annoncer l’obligation de déclarer la provenance des financements étrangers pour les mosquées. Une bonne chose ? "Oui, bien sûr. Mais il faut surtout sanctionner les paroles qui appellent à la haine et la division", répond Tareq Oubrou, pour qui "les murs et l'argent ne sont pas intégristes. Ce sont les paroles et les comportements qu'ils faut sanctionner".
L'imam préfère ainsi insister sur l'importance du travail de fond sur la théologie. "Les imams doivent travailler intellectuellement sur une théologie adaptée (...) On a besoin d'un travail intellectuel profond pour adapter le droit canon musulman à la culture et au droit français".