Le 7 janvier 2015 à 11h30 en pleine conférence de rédaction, les frères Kouachi surgissaient dans les locaux de Charlie Hebdo et abattaient douze personnes dont huit collaborateurs du journal. Trois ans après, 61% des Français se sentent toujours "Charlie", selon le sondage que nous publions vendredi matin avec l'IFOP. Les survivants, eux, tentent de se reconstruire. La dessinatrice Sigolène Vinson, qui travaille toujours pour Charlie, même si elle a préféré s'éloigner de Paris, a accepté de se confier.
"C'est parce que je suis très polie que je réponds 'ça va'". Elle vit désormais dans le sud de la France. C'est chez elle qu'elle nous accueille, souriante. Mais à l'image de sa nouvelle vie depuis trois ans, Sigolène Vinson se protège. "Ça va à peu près, mais c'est parce que je suis très polie que je réponds 'ça va'", explique-t-elle au micro d'Europe 1. Après l'attentat, la journaliste a d'abord connu la paranoïa, les premiers mois, puis les pleurs récurrents et aujourd'hui encore quelques peurs incontrôlées. "Les sirènes des secours que ce soit police, pompier ou ambulance, le bruit des cartes ou des ardoises des restaurants sur les trottoirs quand un coup de vent les font tomber au sol, c'est pour moi ce qui se rapproche du bruit d'un coup de feu, c'est très sec", dit-elle.
La lecture et la musique pour penser à autre chose. Autant de peurs qui sont exacerbées à Paris, où elle ne se rend plus qu'une tous les quinze jours pour la conférence de rédaction de Charlie Hebdo. Un rituel auquel elle tient beaucoup, mais si l'inconscience a disparu car la peur est désormais toujours là. Les menaces de mort se sont même multipliées ces derniers mois. "Moi qui ai pu avoir l’âme militante, ce que je ne suis plus du tout aujourd’hui, peut-être à cause de l’attentat, je me dis que je fais peut-être acte de participation à la vie de la cité en continuant à écrire dans le journal", confie-t-elle. En plus de Charlie Hebdo, Sigolène Vinson écrit aussi des romans et lit et écoute beaucoup de musique. Chez elle, on retrouve des dizaines de vinyles : Bob Dylan, Bruce Springsteen ou encoreGeorges Moustaki.
"C'est moi, avec une cassure". En écoutant Le temps de vivre, Sigolène Vinson, l'admet, "le goût de vivre c'est un peu long, mais vivre, on vit à partir de l'instant où on n'a pas été tué, dès qu'on se relève, dès qu'on a vu dans les yeux du tueur qu'on allait rester en vie, on continue à respirer et à vivre. Mais vivre pendant un certain temps différemment, coupé du monde". "On avance comme si on était derrière un vitrage. On voit les autres eux vraiment vivre et surement avoir le goût de vivre. Nous on avance un peu comme des fantômes, comme un spectre dans la ville", poursuit-elle. "Je sais que j'ai vécu un événement particulier et d'une violence inouïe, mais ça n’a pas changé qui j'étais, il y a juste quelque chose de cassé à l'intérieur, une fêlure, un chagrin qui ne part pas. C'est moi avec une cassure", résume-t-elle.
Découvrez le reportage de Sébastien Guyot dans "Tout Terrain" samedi 6 janvier à 13h sur Europe 1 :