Nice : dans le quartier Bon-Voyage, le narcotrafic empoisonne la vie des habitants
À Nice, dans le quartier Bon-Voyage, les habitants vivent depuis des mois aux côtés de petites mains du narcotrafic. Deux opérations de police avec l’appui du Raid ont permis d’interpeller huit individus. Des armes de guerre et de la drogue ont été saisies. Une personne a été incarcérée et quatre hommes placés sous contrôle judiciaire.
Au 14 rue Fenoglio-de-Briga, dans le quartier Bon-Voyage à Nice, des narcotrafiquants se livrent une guerre sous les fenêtres des habitants exaspérés. Le week-end dernier, des policiers niçois prévenus par des riverains, effrayés par la présence d’hommes cagoulés transportant des sacs dans un immeuble de la cité, sont intervenus, appuyés par leurs collègues du Raid.
Dans ce quartier de l’est de la ville, connu pour être une plaque tournante du trafic de stupéfiants, le scénario s’est reproduit deux jours de suite. Au total, huit personnes ont été interpellées en deux temps. De la drogue, un revolver, des munitions et un fusil d’assaut ont été saisis. En début de semaine après de nouveaux tirs, la police a retrouvé au pied des immeubles une kalachnikov et plusieurs douilles de gros calibre.
Exaspération et craintes des habitants
Devant les imposantes barres HLM délabrées de la rue Fenoglio-de-Briga, les rares habitants qui acceptent de répondre aux questions d'Europe 1 avouent leur exaspération et leurs craintes. Un jeune homme qui se rend à son travail confie : "cette semaine on évite de sortir le soir", avant de poursuivre : "Il y a toujours eu du trafic mais depuis plusieurs mois ça empire, on voit des hommes cagoulés et il y a régulièrement des tirs".
Un peu plus loin, une femme employée dans une école primaire toute proche confirme : "Quand il y a des tirs on est confiné". Et cette habitante du quartier Bon-Voyage d’ajouter, lassée par la situation : "C'est dur pour les enfants de voir tout ce qui se passe ici… C'est choquant. Ça fait peur pour leur avenir."
Une dizaine de véhicules incendiés le 14 juillet dernier
À deux pas du point de deal pour lequel semblent se battre depuis des mois plusieurs bandes rivales, une mère de famille explique vouloir quitter le quartier depuis un an, sans succès. "Ce ne sont pas les habitants qui trafiquent, ce sont des gens qui viennent d'ailleurs et à chaque fois, ce sont de nouveaux groupes", affirme-t-elle. Résignée, elle raconte son quotidien : "Ils n’arrêtent pas de crier toute la nuit, pour signaler quand la police arrive et ils font des feux."
Le 14 juillet dernier, une dizaine de véhicules ont été incendiés dans le quartier. "La voiture de mon mari a été brûlée et on n’a toujours pas été remboursé par l’assurance." D’une voix douce, elle évoque les tirs, les hommes cagoulés dans la rue : "Entre eux il y a toujours des problèmes, c'est pour ça qu'ils ont des armes. Ils se battent parce que d’autres veulent prendre la place et eux ils n’ont pas envie de partir de là car ici, ils se font beaucoup d’argent." Cette habitante précise que la police est présente et organise régulièrement des opérations pour démanteler le point de deal.
"On est potentiellement à se tirer dessus à coups de fusil d'assaut"
Il y a une semaine, voyant des hommes cagoulés porter des sacs, des riverains qui ont prévenu la police. "C’est essentiel", insiste Laurent Alcaraz, le délégué du syndicat Alliance Police nationale dans les Alpes-Maritimes. "Il faut briser l'omerta parce qu'en brisant l'omerta, nous arrivons à avoir du renseignement et nous arrivons à des résultats probants et mettre fin à cette escalade de la violence. Ces jeunes fouillent les habitants pour pouvoir rentrer chez eux, pour être bien sûrs de ne pas avoir à faire à de la police."
Le syndicaliste s’inquiète pour les habitants et ses collègues "parce que là, on ne parle pas de bagarre à coups de poings ou même de couteau, on est potentiellement à se tirer dessus à coups de fusil d'assaut. On se bat pour les points de deal, le marché est juteux. Par jour, on est sur des sommes complètement folles de plusieurs dizaines de milliers d'euros et chacun veut se faire sa part", relate Laurent Alcaraz.
Il le reconnaît : "Les habitants trinquent, la police ne fait que ça et la plus grande crainte pour tout le monde, c'est une victime collatérale." Le policier en appelle également à la responsabilité des consommateurs : "On fait appel à des petites mains, des mineurs, c’est de l’esclavagisme moderne et visiblement, ça n'a pas l'air de gêner certains."
Quatre mineurs parmi les huit personnes interpellées le week-end dernier
Sur les huit personnes interpellées le week-end dernier, cinq ont été déférées devant un juge, quatre mineurs et un majeur nés en 2008, 2007 et 2005. Les individus sont tous connus des services de police, deux ont déjà été condamnés pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Quatre de ces jeunes hommes sont originaires de Marseille, un seul de Nice. À ce stade des investigations, indique le parquet de Nice dans un communiqué, les mis en cause reconnaissent uniquement un rôle de guetteur dans le trafic de stupéfiants.
Le maire de Nice Christian Estrosi dénonce "un narcoterrorisme" qui selon lui est "la principale cause des statistiques en matière d'insécurité en France" et pointe des filières "marseillaises, parisiennes et tunisiennes" à l’œuvre dans certains quartiers de la ville. "On a deux ou trois points de deal particuliers qui sont identifiés. On les connaît. C'est sur la périphérie, au Moulin, Bon-Voyage et au Liseron", précise l'élu.
Le premier magistrat de Nice salue l’action du parquet, de la police nationale et municipale : "Nous avons un partenariat avec le procureur de la République dont la main est extrêmement ferme", et insiste : "Il faut frapper fort, taper les guetteurs, créer un parquet national sur le modèle du parquet antiterroriste et faire baisser l'excuse de minorité".
Neuf agents de sécurité privée en renfort, annonce Christian Estrosi
Christian Estrosi l’affirme : "La loi que propose Bruno Retailleau - le ministre de l’intérieur - devrait nous aider à aller plus loin. C’est une nécessité quand vous savez que la filière tunisienne, gérée par des grands caïds qui restent planqués chez eux, est composée à 70% de mineurs de moins de 16 ans pour qu’ils passent sous la loi française". Le maire de Nice et président de la Métropole se félicite aussi de la volonté affichée en matière de lutte contre l’immigration illégale. "Je pense qu'avec les dispositions législatives qui vont être prises, nous allons pouvoir lutter plus efficacement contre ces trafics."
En réaction aux incidents de la semaine, Christian Estrosi indique que neuf agents de sécurité privée vont être embauchés par la ville pour couvrir le périmètre du quartier Bon-Voyage. Des agents du Gaida (groupement d’agents inter bailleurs contre les désordres et les abus) sont déjà présents depuis mai dernier à l’ouest de la ville dans la cité des Moulins.