Une enquête administrative pour permettre "d'établir la réalité" du dispositif du 14-Juillet à Nice, le soir de l'attentat, "alors que des polémiques inutiles se poursuivent". C'est ce qu'a demandé Bernard Cazeneuve, jeudi matin, après les révélations de Libération, qui affirme qu'une seule voiture barrait l'accès à la Promenade des Anglais et qu'aucun agent de la police nationale n'était présent après 20h30 à cette entrée.
Sous le feu des critiques, le ministre de l'Intérieur a annoncé qu'il allait demander "une évaluation technique du dispositif de sécurité et d'ordre public tel qu'il a été conçu puis mis en œuvre à Nice dans la soirée du 14 juillet, et dans la nuit qui a suivi" auprès de l'Inspection générale de la police nationale, "la police des police". Les conclusions de cette enquête, qui concernera à la fois la police municipale et la police nationale, seront connues dès "la semaine prochaine", a assuré François Hollande, jeudi. Que sait-on pour l'instant du dispositif de sécurité instauré le soir de l'attaque ayant coûté la vie à 84 personnes et fait 331 blessés ? Quelles sont les failles pointées du doigt depuis l'attentat ? Europe 1 fait le point.
- Qui était chargé d'assurer la sécurité ?
La sécurité des festivités du 14-Juillet relève à la fois de la responsabilité de la mairie de la Nice, de la préfecture de police des Alpes-Maritimes, et de la direction départementale de la sécurité publique. L'ensemble du dispositif avait fait l'objet de plusieurs réunions. "Comme tous les événements organisés à Nice, la 'Prom'party' a fait l'objet d'une préparation confiante et minutieuse", a assuré jeudi, Adolphe Colrat, le préfet des Alpes-Maritimes, lors d'un point presse avec le directeur départemental de la sécurité publique, en pleine polémique, notamment entre le gouvernement et les autorités locales, qui se renvoient la balle sur la question du dispositif de sécurité mis en place le soir de l'attentat.
Mercredi, le Premier ministre Manuel Valls a affirmé que le dispositif de sécurité avait été "concerté, consenti et validé" par la mairie. "Un arrêté du 11 juillet signé par le directeur général adjoint de la ville [...] réglementait la circulation sur la Promenade des Anglais et ses abords, car c'est une responsabilité du maire, de la police municipale", a-t-il assuré. En réponse, le président LR de la région PACA, Christian Estrosi, et Philippe Pradal, actuel maire de Nice, ont dénoncé un "nouveau mensonge", affirmant ces réunions n'étaient que "des réunions préparatoires".
Dans un communiqué du 16 juillet dernier, la préfecture des Alpes maritimes avait indiqué que 64 policiers nationaux avaient été mobilisés, en plus de 42 policiers municipaux et 20 militaires de la mission Sentinelle pour le 14-Juillet. Un chiffre contesté par Christian Estrosi, estimant qu'"on [en] était très loin".
- Le camion avait-il le droit de circuler ?
Au lendemain de l'attaque, revendiquée par l'Etat islamique, Christian Estrosi avait critiqué l'absence de mesures prises, selon lui, par le gouvernement pour sécuriser la zone. "Comment est-il possible qu'un jour de 14-juillet, alors qu'il y a des milliers de personnes […], un camion puisse pénétrer dans ces conditions ?", s'était interrogé l'ex-maire de Nice.
D'après France Bleu Azur, le camion blanc de 19 tonnes n'avait pas le droit de circuler en raison de deux arrêtés. Le premier, préfectoral, interdit tous les poids lourd de plus de 7.5 tonnes, de circuler la veille d'un jour férié, à partir de 22 h, jusqu'au lendemain, 22 heures, partout en France. D'autre part, la Promenade des Anglais fait l'objet d'un arrêté municipal permanent interdisant la circulation des véhicules supérieur à 3.5 tonnes.
Or, Mohamed Lahouaiej Bouhlel s'est rendu à plusieurs reprises sur les lieux de l'attaque en repérages. Le tueur a ainsi été filmé deux fois en amont de l'attaque, les 12 et 13 juillet, au volant du véhicule, par les caméras de vidéosurveillance de la ville de Nice. Pourquoi cette présence n'a-t-elle alerté personne ? Dans un communiqué, la municipalité s'est défendue en expliquant que des "dérogations" pouvaient exister, mais "la Ville de Nice ne peut en aucun cas faire appliquer un arrêté préfectoral", rappelant "que la sécurité est une mission régalienne"…
- Comment la sécurité était-elle assurée le soir du 14-Juillet ?
Appelé dispositif 'carnaval', le dispositif de sécurité mis en place le soir des festivités du 14-Juillet est instauré pour la plupart des événements sur le front de mer à Nice, selon nos informations. D'après Libération, "un seul véhicule de police, celui des agents municipaux, se trouvait au milieu de la chaussée, côté mer", à l'endroit où l'artère devenait piétonne en ce soir de fête. Aucun fonctionnaire de la police nationale n'était donc présent, au moment des faits, au niveau de l'accès à la Promenade des Anglais. Le 16 juillet dernier, Bernard Cazeneuve avait pourtant affirmé : "la police nationale était présente, très présente sur la Promenade des Anglais. Des véhicules de police rendaient impossible le franchissement de la Promenade des Anglais."
Mercredi déjà, le Canard Enchaîné avait lui aussi pointé des "failles" dans le dispositif de sécurité du 14 juillet, soulignant que l'idée de disposer des chicanes en béton sur la Promenade des Anglais n'avait pas été retenue, s'appuyant entre autres sur un document émanant de la préfecture des Alpes-Maritimes. Toutefois, bloquer dans sa totalité un trottoir - par lequel est passé en force Mohamed Lahouaiej Bouhlel peut aussi s'avérer dangereux en cas de mouvement de foule.
- Les policiers nationaux étaient-ils présents ?
Selon les révélations de Libération, "l'entrée du périmètre piéton de la promenade des Anglais n'était pas protégée par la police nationale". Elle n'était surveillée que par deux agents municipaux, les agents de la police nationale ayant été "relevés aux alentours de 20h30 par leurs collègues municipaux". C'est à ce niveau qu'est arrivé le camion conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui a contourné le barrage de fortune (barrières métalliques, plots lestés de sable comme lors de travaux, etc.) pour passer en force sur le trottoir. "C'était un point de déviation de la circulation et de contrôle visuel", a expliqué Bernard Cazeneuve, déplorant des polémiques "injustes et blessantes pour la police nationale" et dénonçant des "contre-vérités".
Interrogée au micro d'Europe 1, une policière municipale de Nice a confirmé l'absence de la police nationale, sur ce point situé au niveau du boulevard Gambetta. "A l’instant où le camion pénètre sur le trottoir et qu’il s’engage dans la zone réservée, on a des policiers municipaux qui sont en coupure de circulation, avec un véhicule et des barrières posées par les services de la Ville", a détaillé Sarah Baron. Selon elle, la présence de policiers nationaux aurait pu changer les choses : "Ils auraient pu riposter. Après, si les policiers municipaux avaient eu l’armement adapté, peut-être auraient-ils aussi pu riposter" et arrêter plus tôt la course meurtrière du poids lourd.
[#Nice06 ] Il faut vraiment distinguer 2 pts contrôle: Le point #circulation GAMBETTA et point #sécurité à Meyerbeer début zone d'animation
— Police Nationale 06 (@PoliceNat06) 21 juillet 2016
La police nationale était bien présente le 14-Juillet sur la Promenade des Anglais… mais 400 mètres plus loin. Sur "un point de contrôle", situé au niveau de rue rue Meyerbeer, à proximité des podiums ou avaient lieu les concerts après le feu d'artifice, et à l'endroit où le camion a fait le plus de victimes. Six agents de la police nationale étaient présents. "Longue de 7 kilomètres, la Promenade des Anglais était surveillée par la police nationale sur une distance de 750 mètres", a indiqué le préfet lors du point presse.
Ce point a été convenu, comme tous les dispositifs, avec la municipalité, a assuré Adolphe Colrat. Parmi ces agents, trois se sont lancés à l'assaut du camion en tirant. "Les policiers nationaux ont stoppé et neutralisé le camion fou 160 m après son intrusion dans le dispositif de sécurité", a-t-il indiqué.