Le pass vaccinal, succédant au pass sanitaire pour les personnes d'au moins 16 ans, entrera en vigueur à partir de lundi "sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel" vendredi, a annoncé jeudi Jean Castex lors d'une conférence de presse. Ce pass servira à accéder aux activités de loisirs, aux restaurants et débits de boisson, aux foires, séminaires et salons professionnels et aux transports publics interrégionaux. Son instauration, qui devrait permettre de "lever la plupart des restrictions prises" selon Jean Castex, reste suspendue à une décision vendredi du Conseil constitutionnel, saisi par des députés et sénateurs de l'opposition.
Les Sages se prononceront vendredi sur la mesure
Les Sages ont été saisis du projet de loi définitivement adopté dimanche dernier par des parlementaires de l'opposition, qui dénoncent un dispositif portant atteinte aux libertés fondamentales sans pour autant avoir prouvé son efficacité pour freiner la propagation de l'épidémie. Le Premier ministre Jean Castex a annoncé l'entrée en vigueur lundi de cette "obligation vaccinale déguisée", comme l'a qualifiée lui-même le ministre de la Santé Olivier Véran, face au "raz-de-marée" des contaminations au Covid - quelque 300.000 enregistrées quotidiennement.
Avec le pass vaccinal, qui doit remplacer le pass sanitaire, les plus de 16 ans devront pouvoir justifier d'un statut vaccinal pour accéder aux activités de loisirs, restaurants et bars, foires ou transports publics interrégionaux. Un test négatif ne suffira plus, sauf pour accéder aux établissements et services de santé. "Contrairement au pass sanitaire vendu comme une manière de pouvoir retourner dans les cinémas ou voir des matches, la fonction du pass vaccinal c'est d'+emmerder+ les non-vaccinés pour qu'ils cèdent et se vaccinent", analyse le professeur de droit public à l'université de Grenoble-Alpes Serge Slama, reprenant les mots du président Emmanuel Macron.
Obliger les Français à se protéger eux mêmes
Ce, "non pas pour empêcher la propagation de l'épidémie, mais pour les obliger à se protéger eux mêmes", alors que la vaccination n'est pas obligatoire, ajoute-t-il, parlant de "changement de paradigme", "assez effrayant" en termes de libertés individuelles. "Imaginez qu'on reprenne le même modèle +pour vous protéger+ avec la cigarette ou d'autres addictions".
Pour Paul Cassia, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne, le texte est problématique car il acte une différence de "statut" entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas alors que "l'interdiction des discriminations est posée par la Constitution". En août dernier, rappelle-t-il, le Conseil constitutionnel avait validé le pass sanitaire en indiquant explicitement qu'il n'équivalait pas à une vaccination obligatoire puisque demeurait le "choix" du test PCR.
Une marge de manœuvre souvent laissée au législateur
Avec la suppression de cette alternative, les Sages jugeront-il que le texte va trop loin ? Ils pourraient s'opposer en jugeant le pass vaccinal, un "dispositif totalement inédit", trop contraignant alors qu'être vacciné ne réduit pas nécessairement la contamination, avance Nicolas Hervieu, professeur de droit public à Sciences Po. Et obliger ainsi le législateur à clarifier sa position : conserver le pass sanitaire ou rendre la vaccination obligatoire, explique-t-il.
D'un autre côté, les Sages, déjà saisis pour la moitié des 12 textes sanitaires passés en deux ans, ont eu tendance à laisser "une large marge de manœuvre" au législateur pour juger de "l'opportunité des mesures" en terme de santé publique, un autre exigence constitutionnelle, note-t-il. D'une manière générale, les juristes interrogés par l'AFP appellent à rester "vigilants" face à la succession de mesures restrictives qui ont donné à la société des allures de "science-fiction" depuis deux ans, entre confinement, QR codes et port du masque obligatoire.
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Le risque de s'habituer à "l'invraisemblable"
"On s'est collectivement habitués" à des choses qui étaient "impensables" auparavant, souligne Paul Cassia. L'été dernier, avant l'adoption du pass sanitaire, ce même Paul Cassia jugeait "invraisemblable" d'imaginer qu'on se retrouve à présenter un "QR code, systématiquement 6 ou 7 fois par jour". Six mois plus tard, il en sourit: "C'est incroyable, c'est devenu anodin pour la plupart des gens". Mais cela ne l'est pas, insiste-t-il : "Entrer dans un train, un café, un restaurant, n'a jamais été conditionné à un statut vaccinal. Jamais".
Serge Slama fait lui un parallèle avec l'état d'urgence "sécuritaire" d'après les attentats de 2015, dont certaines mesures sont passées dans le droit commun. Et voit déjà venir une "loi de sortie" sanitaire qui inscrira la possibilité du port du masque, du pass ou du couvre-feu dans les textes. "Tout régime d'exception a tendance à se pérenniser", confirme aussi Nicolas Hervieu. Mais "il ne faut pas tomber dans l'extrême inverse", nuance-t-il, car l'Etat de droit doit pouvoir garder la possibilité de restreindre des libertés au nom d'impératifs tout aussi fondamentaux, comme la santé publique. Et considérer que "la liberté des uns s'arrête là où commence la santé des autres".