L’année prochaine, cela fera exactement dix ans que les lycéens danois sont autorisés à utiliser Internet lors de leurs examens. Selon les études mises en avant par le ministère de l’Education du Danemark, l'expérience est un succès : les résultats des élèves ne semblent pas avoir baissé depuis la mise en place du système et le niveau des exigences est plus élevé. Mais le modèle peut-il s'étendre aux frontières hexagonales ?
En quoi consiste la méthode danoise ?
Comme le rappelle Le Monde, le Danemark a été l'un des premiers pays à autoriser l’accès à Internet lors du baccalauréat. En 2008, quatorze établissements participent à l'expérience. Deux ans plus tard, le dispositif est élargi à tous les établissements qui le souhaitent. Le principe est simple : les lycéens ont la possibilité de se rendre à certaines épreuves munis de leur ordinateur, mais aussi de leurs cours et livres. Le but des éducateurs danois ? Amener les élèves à évaluer l’information de manière critique plutôt qu'à la répéter.
En 2013, le Huffington Post rapportait les propos de Steen Lassen, conseiller auprès du ministère de l'Education danois et chargé de la mise en œuvre du dispositif. Pour ce dernier, "autoriser l'accès à Internet n'était pas une révolution mais plutôt une évolution".
" L'usage d'Internet occupe une place centrale dans la vie et le travail de tous aujourd'hui "
Le même article soulignait également les propos de Jeppe Bundsgaard, maître de conférences en pédagogie à l’Université d’Aarhus. Selon le professeur, pour comprendre cette "évolution", il faut garder en tête que "l'usage d'Internet occupe une place centrale dans la vie et le travail de tous aujourd'hui. L’autoriser aux examens encourage les professeurs et les étudiants à l’utiliser quotidiennement dans l’enseignement et l’apprentissage. "
A la question de la triche que pourrait entraîner l'accès à la toile, Steen Lassen répond que "les réponses n'existent pas sur Internet dans leur forme finale, prêtes à être copiées-collées." Par ailleurs, le système danois ne permet pas la communication entre bacheliers.
Pour les éducateurs danois, si l'expérience s'est soldée par une implémentation quasi générale, c'est parce qu'elle a été fructueuse. Le rapport d'évaluation rapporte notamment que "l'expérience a été un catalyseur pour le développement des matières." En clair, cela a permis d'explorer les matières plus profondément durant les épreuves, en dépassant les connaissances basiques.
Peut-on l'appliquer en France ?
La question d'un bac connecté s'est-elle déjà posée en France ? "Pas vraiment" répond Muriel Epstein, docteure en sociologie. Selon cette enseignante-chercheuse spécialiste des usages du numérique éducatif, "le sujet a pu être évoqué par des acteurs isolés au sein de l'Education nationale, mais cela est resté marginal. La réflexion, qui n'a jamais été d'ampleur nationale, n'a pas mené à un véritable débat de fond. "
La professeure agrégée de mathématiques le reconnaît : "Aujourd'hui, le bac à la française évalue en partie la capacité de l'élève à apprendre par cœur. On peut réfléchir à un examen qui testerait moins cette compétence". Mais la chercheuse nuance aussitôt : "Des études en sciences cognitives ont montré que l'apprentissage par la répétition facilite ensuite l'acquisition de compétences plus profondes telles que la réflexion et l'interprétation. Par ailleurs, au bout d'un moment, on a besoin d'avoir retenu les définitions et les principes premiers pour aller plus loin. Si l'on veut ensuite aborder des concepts plus compliqués et moins scolaires, il faut ces bases qui s'apprennent par cœur. "
De plus, comme le rappelle Muriel Epstein, le baccalauréat a une valeur symbolique particulière en France. Le modifier, ce serait donc admettre que ses missions sont repensées. Pour la chercheuse, "le bac revêt trois fonctions : il forme les futurs citoyens en dispensant un socle de connaissances communes, valide des compétences permettant d'entrer dans le monde professionnel et effectue un tri entre les étudiants qui vont poursuivre leurs études et les autres. "
" L'exemple danois devrait nous encourager à avoir une réflexion plus générale sur la place du bac en France "
Ainsi, pour Muriel Epstein, si l'on veut faire du bac un examen connecté, il faut clairement définir le pilier que l'on favorise. "Si on veut que le bac reste une échéance qui trie, on ne peut pas l'associer à un usage d'Internet. En effet, c'est grâce à la restitution de connaissances mémorisées que l'on effectue une sélection sociale. Cependant, si l'on voulait surtout vérifier que les bacheliers sont aptes à devenir de bons citoyens, il serait possible de mettre en place des épreuves connectées faisant appel à des compétences telles que la capacité à reconnaître une source d'information valable d'une autre. "
La professeure conclut : "Ce qui est certain, c'est que l'exemple danois devrait nous encourager à avoir une réflexion plus générale sur la place du bac en France. Que veut-on évaluer et qui veut-on former ? Ces deux questions me semblent essentielles afin d'ensuite repenser le dispositif. "
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