L'inquiétude ressentie par le monde judiciaire est assortie de colère. Mercredi, les professionnels - avocats, bâtonniers, juges, greffiers - manifestent contre le projet de réforme de la justice, porté par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et présenté en conseil des ministres la semaine prochaine. Ils dénoncent à la fois le manque de concertation et plusieurs volets du projet de loi. Mais qu'en est-il vraiment ? Sur la base de deux craintes exprimées par des avocats que nous avons interrogés, Europe 1 a décortiqué pour vous le vrai du faux.
Quid du divorce et du versement des pensions alimentaires ?
Au micro d'Europe 1, Maître Taxil, avocate marseillaise, s'inquiète de la disparition du juge dans les procédures de divorce, et notamment lors de la fixation du montant des pensions alimentaires. "Demain, vous irez devant la Caisse d'allocations familiales et vous remplirez un formulaire. Le risque, c'est d'avoir des décisions complètement déconnectées de la réalité des parties. Vous n'avez pas de juge pour analyser les éléments, mais un barème appliqué sans autre pouvoir d'appréciation", s'alarme-t-elle.
Cette affirmation est partiellement fausse. L'arbitrage du juge au moment du divorce pour fixer la garde des enfants, le montant de la pension et/ou de la prestation compensatoire, existera toujours après cette réforme. En revanche, si après ce jugement, l'une des deux parties veut effectuer une demande de révision de pension - suite à une perte d'emploi, à la naissance d'un autre enfant, à un remariage ou à un transfert de garde des enfants à l'autre parent - il pourra effectivement faire cette demande en ligne, sous réserve de présenter les pièces justificatives. Dans ce cas de figure, la Caf gérera bel et bien le dossier, en se basant sur un barème qui lui permet de gagner du temps. Pour autant, les deux parties pourront toujours, à tout moment, faire appel au juge en cas de désaccord.
Les tribunaux d'instance vont-ils être supprimés ?
Interrogé par Europe 1, Maître Laugery, bâtonnier de Nanterre, s'inquiète de son côté de la suppression de 307 tribunaux d'instance. "Les justiciables vont se retrouver complètement démunis. Le jour où on enlève les juges, on n'est plus dans la protection des libertés individuelles. Le jour où on enlève les tribunaux, on n'est plus dans la proximité du justiciable avec son tribunal", alertait-il sur Europe 1.
Là encore, cette affirmation est inexacte. Les tribunaux d'instance ne vont pas tirer le rideau et le justiciable pourra toujours déposer sa demande au tribunal le plus proche de chez lui. Ce qui change en réalité, c'est l'organisation interne des tribunaux. En effet, la réforme prévoit de regrouper tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance. Les juges pourront aussi être affectés à un autre poste sur décision du chef de cour, qui aura toute latitude pour organiser sa juridiction comme il l'entend.
Prenons l'exemple de la Seine-et-Marne, où sont implantés trois tribunaux d'instance. Si la réforme de la justice est adoptée, le président pourra décider que tel ou tel type de contentieux très spécialisé ne nécessite pas d'être traité partout, mais regroupé dans un seul tribunal, au vu de la haute technicité du sujet et du faible nombre d'affaires.
L'idée n'est donc pas de fermer des tribunaux, mais de fusionner et de donner la possibilité d'une réorganisation en interne. Avec le risque effectivement, pour les juges spécialisés, d'être réaffectés sur un autre domaine. C'est là la crainte des professionnels.