A partir de samedi, les mannequins français ne pourront plus défiler en état de maigreur excessive. C'est du moins ce que promet l'un des décrets d'application de la loi sur la santé des mannequins votée fin 2015, qui vient d'être publié.
Concrètement, chaque modèle devra fournir un certificat médical délivré par un médecin du travail. Le document devra attester que l’indice de masse corporelle (IMC) du modèle n'atteigne pas "une maigreur modérée" ni "une maigreur sévère". La "maigreur légère", elle, est tolérée. En clair, une mannequin d'1,75 m devra donc peser au minimum 52 kilos, selon les critères de l'Organisation mondiale de la santé retenus par le décret.
Mais cela peut-il vraiment marcher ? Comment s'assurer que les mannequins, les agences et les médecins jouent le jeu ? Nous avons posé la question à Benedetta Blancato. Cette ancienne agent de mannequins connaît les coulisses complexes du monde de la mode. En 2016, elle publiait un livre intitulé Enfer Fashion, où elle en décrivait les effets pervers de ce monde. Face à ce décret, elle reste sceptique.
Pensez-vous que le certificat médical obligatoire protégera les mannequins de la maigreur excessive ?
Non, vraiment, ce décret part d’une bonne intention mais n’est pas réaliste.
Le certificat médical devient certes obligatoire, mais il doit dater d’au moins deux ans. Pas de contrôle obligatoire pendant deux ans donc. Et en deux ans, le poids d’un mannequin adolescent a mille fois le temps de changer. Elles sont habituées aux changements physiques très rapides.
Avant la Fashion Week par exemple, les filles ont deux semaines pour atteindre le poids idéal, avec des régimes draconiens qui font effet dans des délais très courts. Une fille pourra donc défiler avec un certificat médical en règle, mais avec un poids bien inférieur que celui évalué par le médecin.
Si le but est vraiment d’éviter les mannequins trop maigres sur les podiums, ça ne fonctionnera pas. On continuera de voir des modèles très maigres défiler, car il reste une marge énorme de liberté aux créateurs.
A moins de contrôler leur IMC juste avant de monter sur scène, ce qui est concrètement impossible à appliquer. Les mannequins arrivent parfois à peine un quart d’heure avant le défilé, c’est très souvent la panique en coulisses. Et une réglementation aussi contraignante ferait fuir les designers.
Le but est pourtant d'éviter les dérives. Les créateurs ne seraient-ils pas prêts à jouer le jeu ?
Le marché de la mode est un marché globalisé. C’est-à-dire qu’une agence basée en France a très souvent une maison mère également aux États-Unis par exemple. Dès qu’il y a une nouvelle contrainte dans un pays qui ne convient pas au créateur, on déplace simplement le shooting photo ou le défilé.
Face au problème de la maigreur dans la mode, il faut une réponse globale, pour un marché globalisé. Il faudrait prendre une décision avec tous les acteurs du marché, de New-York à Paris en passant par Londres et Milan. Mais avec une loi franco-française, les mannequins français trop maigres continueront de défiler, ici ou à l’étranger.
Les mannequins sont-elles régulièrement suivies par un médecin ?
Il faut rappeler que les modèles français sont relativement chanceux par rapport aux autres. La France est l’un des rares pays où les mannequins accèdent au salariat. Dans le monde anglo-saxon, elles exercent en freelance. Pas de médecin du travail, donc. Les modèles français peuvent donc au moins être contrôlés par un médecin qualifié, et c’est important.
Je me rappelle de cas où après le bilan sanguin, on découvrait que des filles étaient carencées. Elles ont été accompagnées médicalement, et heureusement car ce sont souvent de très jeunes filles. J’ai en tête un cas d’un mannequin qui avait trop minci. On lui avait demandé d’arrêter de travailler. Dans le fond, les agences n’ont pas intérêt à faire bosser des modèles anorexiques. Un modèle anorexique est un modèle malade qui travaille moins bien. Les agences n’aiment pas présenter des filles qui risquent de s’évanouir.
En France, il y a une visite médicale à la signature du contrat entre le mannequin et l'agence. Normalement, ça doit être fait systématiquement mais je mentirais si je vous disais que c’est fait à chaque fois. Parfois, on n’a pas le temps. Quand le modèle reste peu de temps sur Paris, le contrôle médical n’est pas vraiment une priorité pour l’agence. Le décret publié aujourd’hui devrait rendre cette étape plus systématique. Même si je n’y crois pas trop, c’est un premier pas dans la bonne direction.