Dans la salle des criées du Palais de justice de Paris, tous les regards sont rivés vers un écran géant, allumé depuis quelques secondes. La caméra balaie la 16ème chambre du tribunal correctionnel, trop petite pour accueillir les parties civiles et une partie de la presse. Peu importe : assis face à l'image projetée, les victimes du 13-Novembre et leurs proches sont venus voir le "logeur", soupçonné d'avoir fourni un hébergement à deux des terroristes, dont Abdelhamid Abaaoud, leur coordinateur présumé. La vidéo montre une vue d'ensemble de la salle. Puis arrive le gros plan que tout le monde attend, sur le box et son principal prévenu, Jawad Bendaoud.
Six ans de prison encourus. Pendant quelques secondes, l'assemblée semble comparer son visage à celui qu'ont retenu des millions de Français. En novembre 2015, "Jawad" a accordé une courte interview à BFMTV, quelques minutes avant son arrestation. "Je n'étais pas au courant que c'était des terroristes", y expliquait le jeune homme, dont les quelques phrases maladroites allaient faire l'objet de multiples parodies, largement partagées sur les réseaux sociaux. Plus de deux ans plus tard, le prévenu a 31 ans. Ses cheveux, désormais longs, sont attachés en queue de cheval. Dans son polo blanc, ses épaules semblent plus carrées. Mais on reconnaît les traits de "celui dont on a ri après avoir trop pleuré", selon les termes de son avocat.
L'ambiance est lourde. Les trois prévenus déclinent poliment leur identité et la présidente, Isabelle Prévost-Deprez, les charges retenues contre eux. Mohamed Soumah est poursuivi pour avoir servi d'intermédiaire entre le logeur et les terroristes. Youssef Aïtboulahcen, cousin d'Abdelhamid Abaaoud, pour non-dénonciation. Soupçonné de "recel de malfaiteurs terroristes", Jawad Bendaoud, récidiviste, encourt lui six ans de prison.
Une question "très lourde". Mais d'emblée, Me Holleaux donne le ton, annonçant que les parties civiles demandent une requalification des faits. "Je suis le représentant d'un groupe de travail", commence l'avocat, tourné vers ses dizaines de confrères, représentants des victimes des attentats. "Nous sommes dans une situation avec trois marches", illustre le conseil. "Le délit simple, c'est celle du bas. C'est celle qui a été retenue. La marche du haut, c'est l'association de malfaiteurs terroriste, avec l'adhésion aux objectifs de cette entreprise. Mais le parquet a oublié la marche intermédiaire, l'infraction aggravée. C'est ce que nous demandons."
Le propos est technique. Dans la salle de retransmission, les rescapés et leurs proches s'accrochent. Pédagogue, le procureur pose le débat en des termes plus simples. "La question, c'est de savoir si Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah sont des terroristes. Elle est très lourde. La position qui a été la mienne, et celle du parquet jusqu'à présent, c'est de dire que non." Chez les parties civiles, on lève les yeux au ciel. Tout au long de l'instruction, "Jawad" a affirmé tout ignorer des actions et des projets de ceux qu'il hébergeait.
"163 heures d'édition spéciale". La présidente en vient au fond. "Le 13 novembre 2015, en soirée, dix terroristes, arrivés la veille de Belgique, ont perpétré une série d'attentats à Paris et à Saint-Denis." Dans la salle d'audience comme dans celle des criées, le silence est pesant. Isabelle Prévost-Desprez déroule. Elle rappelle le rôle d'Hasna Aïtboulahcen, la sœur de Youssef, tuée par le Raid aux côtés des djihadistes. Souligne qu'il était "patent, le 14 novembre, que des terroristes n'avaient pas été neutralisés et étaient toujours en fuite." Pointe, enfin, que "163 heures d'éditions spéciales" télévisées ont été consacrées aux attentats entre le 13 et le 20 novembre. Comment les prévenus n'ont-ils pu se douter de rien ?
Dans le box, Jawad Bendaoud ne tient pas en place. Il enfile un blouson noir puis l'enlève, rattache ses cheveux, agite les bras comme s'il avait trop chaud. Imperturbable, la présidente lit ses déclarations aux enquêteurs, parfois fluctuantes. Certaines semblent l'agacer, à l'image de l'évocation des attentats de Toulouse et Montauban – "J'ai regardé des vidéos de Mohamed Merah, de l'assaut chez lui, mais je n'ai jamais été en admiration devant lui". A l'évocation d'autres éléments de l'enquête, comme le témoignage favorable d'un patron de pizzeria, selon qui il aurait tenu des propos "très virulents" à l'égard des terroristes le 14 novembre, il tend la main vers son oreille, incitant le public à prêter attention. "Si ce n'est pas du cinéma...", souffle un avocat des parties civiles dans la salle des criées. Le tribunal a trois semaines pour en juger.