Les avocats des parties civiles ont réclamé lundi au procès de l'attentat de Nice un "devoir de vérité" à la cour, soulignant que pour les victimes la "réponse judiciaire" était tout aussi importante que la "reconnaissance de leur souffrance". "Les parties civiles doivent comprendre, vous avez envers elles un devoir de vérité", a lancé l'un d'eux, Me Ludovic de Villèle, aux six juges de la cour d'assises spéciale de Paris.
L'auteur de l'attentat de Nice, qui avait fait 86 morts et plus de 400 blessés sur la Promenade des anglais le 14 juillet 2016, avait été abattu par la police dans son camion-bélier.
"Comprendre comment on a pu en arriver là"
En son absence, huit personnes sont jugées depuis le 5 septembre : trois pour association de malfaiteurs terroriste et cinq pour trafic d'armes. Aucun n'est poursuivi pour complicité de l'acte meurtrier. "Pour les victimes, il ne s'agit pas à tout prix de trouver des coupables (...) mais de comprendre comment on a pu en arriver là", a assuré Me Charles-Antoine Ciccolini. "Vous vous attacherez à prononcer des peines à la hauteur des actes commis" par ceux qui ont "permis ou aidé la réalisation" de l'attentat, a toutefois enjoint Me de Villèle.
Il a aussi invité la cour à "prendre le temps de la pédagogie, de l'explication, dans le prononcé de (sa) décision, pour que chaque partie civile" puisse en comprendre "le sens et la portée". Selon l'avocat parisien, c'est la condition pour "permettre que la plaie béante" que ressentent encore nombre d'entre eux, plus de six années après les faits, "puisse se cicatriser". 2.500 personnes se sont constituées partie civile au procès: blessées, choquées psychologiquement ou proches de personnes décédées.
La "double-peine" des victimes musulmanes
"Toutes les victimes, à un moment donné, ont eu peur pour leur vie, même si elles n'étaient pas dans la trajectoire du camion", a insisté Me Sabria Mosbah, évoquant le "feu nourri des policiers", les fausses alertes de prise d'otages qui ont circulé après l'attentat ou les craintes d'un "sur-attentat". Plusieurs avocats ont aussi souligné la "double-peine" des victimes musulmanes, en butte à de nombreux commentaires racistes après l'attentat, telle cette femme endeuillée s'étant vu répliquer : "tant mieux, ça en fera une de moins".
"Cet attentat a frappé aveuglément, le camion n'a trié personne", a rappelé Me Marceau Perdereau, renvoyant dos à dos "la haine aveugle et cruelle" du "terroriste" et celle des "étriqués" qui ont "attaqué la mémoire" des personnes décédées. Double peine aussi pour les familles dont les proches décédés ont subi des prélèvements d'organes à leur insu, a souligné Me Virginie Le Roy. "Rendre des défunts vidés de leur substance, c'est les tuer une deuxième fois", a estimé l'avocate.
Réquisitions du parquet attendues le 6 décembre
Me Vincent Ehrenfeld a aussi évoqué le cas des "primo-intervenants", policiers, pompiers ou soignants, qui n'ont pas été la cible directe du camion-bélier mais sont intervenus pour stopper sa course ou porter secours aux victimes. Plusieurs sont venus témoigner à la barre de la scène "inimaginable" qui les attendait sur la Promenade, des symptômes de stress post-traumatique venus les assaillir et, souvent, du manque de soutien de leur hiérarchie.
"Les troubles qu'ils ont éprouvés ne sont pas liés à leur métier mais à ce qu'ils ont vécu, hors de leur formation, hors de tout ce à quoi ils ont été préparés par leur expérience", a plaidé l'avocat niçois. À l'ouverture du procès, l'une des avocates générales avait estimé que les "personnes intervenues ou arrivées sur les lieux après la neutralisation de l'auteur" avaient certes été "témoins de scènes très choquantes", mais que, "n'ayant pas été directement et immédiatement exposés au risque d'attentat, ils ne peuvent au sens de la loi, être considérés comme des victimes directes".
Les plaidoiries des avocats des parties civiles doivent se poursuivre jusqu'à jeudi, avant les réquisitions du parquet prévues le 6 décembre.