Une journée de manifestation "festive et pédagogique": plusieurs milliers d'opposants à la construction des "deux plus grandes mégabassines de France" se sont mobilisés sans incident samedi dans le Puy-de-Dôme. "Une journée dans le calme, la sérénité et la fermeté", résume Ludovic Landais, porte-parole de la Confédération paysanne 63, un des organisateurs de la manifestation, alors que le cortège de marcheurs habillés de bleu, pour défendre l'eau "bien commun", se disséminait vers 16H00.
"Est-ce qu'on est écouté par le modèle agroindustriel, ça j'en suis pas sûr", lance-t-il. Entre 4.000 manifestants, selon la préfecture, 6.500 selon les organisateurs, ont randonné dans les champs, dans une ambiance bon enfant, pour dénoncer deux réserves d'eau en projet l'une de 14 hectares, l'autre de 18 hectares, destinées à irriguer 800 hectares dans la plaine de la Limagne, où est implanté Limagrain, le 4e semencier mondial. Sous le soleil, c'est crème solaire, chapeaux et peinture bleue, et quelques visages masqués. Sur les banderoles et les pancartes, le refus catégorique de projets "inutiles": "Il faut faire bassine arrière", "Mort aux bâches"... "Et l'eau, elle est à qui ? A nous", interroge une pancarte.
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Tenues, déguisements et perruques bleus mettent l'eau à l'honneur, à la demande des organisateurs, dont Extinction Rebellion et les Soulèvements de la Terre. La foule à pied, à vélo ou en poussettes, avec ses enfants ou son chien, toutes générations confondues, a marché jusqu'au site envisagé pour les retenues d'eau à but agricole. Au son des tambours, la foule a formé une chaîne humaine pour matérialiser le tracé d'une des deux retenues, prévues selon le collectif pour "privatiser plus de 2,3 millions de m3 d'eau pour 36 exploitations, la plupart liées à Limagrain".
Des pousses et graines de hêtres, chênes, noisetiers, ont été plantées pour "recréer une haie", à l'ancienne. Vers 17H00, quelques centaines de manifestants se sont retrouvés à Billom, sur un parking, en conclusion de la marche partie quelques heures plus tôt de Vertaizon, à une petite dizaine de kilomètres.
"C'est une merveilleuse réussite, localement on marque des points", se félicite Chantal, agricultrice à la retraite de 67 ans, qui a travaillé pour Limagrain et souhaite garder l'anonymat. Les autorités ont déployé 400 éléments assistés d'un hélicoptère, mesures de sécurité renforcées en raison du caractère sensible de cette mobilisation après les violents affrontements survenus à Sainte-Soline (Deux Sèvres) l'an dernier.
"Rapport de force"
Le collectif Bassines non merci dénonce des "gigabassines" qui "se rempliront directement par pompage" dans l'Allier, "une zone classée Natura 2000 qui supporte localement l'alimentation en eau potable de plus de 200.000 habitants". Des élus sont venus en soutien, comme la secrétaire nationale des écologistes Marine Tondelier, ou la député LFI Clémence Guetté. Cette dernière, qui a porté un projet de loi de moratoire sur les mégabassines, dénonce "l'intention du gouvernement d'accompagner l'agrobusiness au détriment des petits agriculteurs".
De son côté, Limagrain explique qu'"il est essentiel que les agriculteurs puissent continuer à produire des cultures de qualité en quantité suffisante" et donc "irriguer lorsque cela est nécessaire", au nom de la "sécurité alimentaire" en période de changement climatique. Les deux retenues d'eau portées par l'Association Syndicale Libre des Turlurons (qui regroupe 36 agriculteurs, dont le président de la coopérative Limagrain) n'ont pas encore fait de demande formelle d'autorisation, et leurs opposants espèrent obtenir un moratoire. Les antibassines accusent Limagrain de vouloir "sécuriser sa production de maïs semence destinée à l'exportation".
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Selon la coopérative agricole, les retenues seraient remplies par prélèvements dans l’Allier entre le 1er novembre et le 31 mars, en respectant le débit autorisé de 45,7 m3/seconde. "Quand on a commencé les premières manifs, la majorité des gens ne savaient pas ce que c'était qu'une bassine. Aujourd'hui le rapport de force sur ce sujet-là contre la privatisation de l'eau a considérablement augmenté", note Adèle Planchard, des Soulèvements de la Terre.
Le projet de loi agricole actuellement examiné au Parlement, élaboré par le gouvernement en réponse à la crise de cet hiver et aux revendications des syndicats agricoles, prévoit de faciliter les constructions d'ouvrages d'irrigation comme les bassines. Le texte vise l'"accélération des contentieux" en cas de recours contre des projets de stockage d'eau.