La piste Michel Fourniret était donc la bonne. Au cours d'un long interrogatoire entamé mercredi devant la juge d'instruction, le tueur en série a reconnu son implication dans la disparition d'Estelle Mouzin. Si de nombreuses questions restent en suspens, ces aveux marquent le rebondissement le plus marquant d'une enquête qui mêle depuis plus de seize ans le nom de l'"ogre des Ardennes" et celui de la fillette disparue. Europe 1 en retrace les principales étapes, depuis les premiers soupçons jusqu'à la mise en examen de Michel Fourniret, à l'automne dernier.
>> HONDELATTE RACONTE -La disparition d'Estelle Mouzin
Une photo d'Estelle Mouzin sur son ordinateur
Un soir de janvier 2003, Estelle Mouzin, neuf ans, partie à pied de son école de Guermantes, en Seine-et-Marne, ne rentre pas chez elle. La piste de la fugue écartée après quelques jours, les enquêteurs s'intéressent à celle d'un enlèvement par une personne "avec des appétences pédophiles". Les affiches placardées dans tous les métros et parcs de la région parisienne déclenchent de multiples signalements, dont aucun n'aboutit à une piste sérieuse. En juin, le portrait-robot d'un automobiliste qui aurait importuné une camarade de classe de la fillette, trois semaines avant sa disparition, est diffusé. C'est le premier lien avec "l'ogre des Ardennes" : l'homme décrit ressemble à Michel Fourniret.
À ce moment-là, le tueur en série vient d'être arrêté après avoir tenté d'enlever une fillette de 13 ans près de Namur, en Belgique. Un an plus tard, il avoue les assassinats de huit fillettes et jeunes femmes, commis entre 1987 et 2001. Le parquet de Charleville-Mézières, en charge de son dossier, transmet des éléments au parquet de Meaux, qui enquête sur la disparition d'Estelle Mouzin. Dans l'ordinateur du suspect, on retrouve une photo de la petite fille, et, chez lui, une cassette sur laquelle il a enregistré un reportage consacré à sa disparition. Les enquêteurs relèvent aussi qu'il conduisait une camionnette blanche Citroën, le même type de véhicule que celui repéré par plusieurs témoins, en 2003 à Guermantes.
Un coup de fil passé à son fils depuis la Belgique
Mais Michel Fourniret nie, expliquant n'avoir fait que s'intéresser à cette affaire. En janvier 2007, les policiers le mettent une première fois hors de cause, car il a un alibi : le soir de la disparition d'Estelle Mouzin, il a passé un coup de fil à son fils pour son anniversaire. Les relevés téléphoniques de son domicile de Sart-Custinne, en Belgique, confirment l'appel. Et bien que le fils n'ait pas décroché, la ville se situe à plus de 200 km de Guermantes, mettant à mal la piste de "l'ogre des Ardennes".
Retournement de situation, quelques mois plus tard : c'est l'insaisissable Fourniret lui-même qui s'inscrimine dans une lettre, adressée au parquet général de Reims, pour réclamer qu'on l'entende dans trois dossiers de disparitions non élucidées - dont celle de la fillette de Seine-et-Marne. Il y prétend devoir "des explications" aux familles de ces jeunes filles. Mais le caractère manipulateur du tueur en série, qui vient d'être renvoyé aux assises pour huit assassinats, fait douter les enquêteurs. Le père d'Estelle Mouzin voit dans ce courrier une façon pour Michel Fourniret de "se chercher des distractions en prison". La piste reste écartée.
La suite de l'histoire est faite de vérifications dénuées de succès. En 2010, des morceaux de lacets blancs et de gants noirs, trouvés dans les scellés du dossier Fourniret, sont analysés car Estelle Mouzin portait le jour de sa disparition "des bottes blanches à lacet" et des "gants de ski". En 2013, l'expertise de milliers de poils et cheveux prélevés dans la voiture de Michel Fourniret ne permet pas de retrouver la moindre trace de la petite fille.
La disparition de la fillette, "un sujet à creuser"
Et puis, en mars 2018, c'est à nouveau Michel Fourniret lui-même qui remet les enquêteurs sur sa piste. Interrogé sur les meurtres de Joanna Parrish et Marie-Angèle Domece - les deux autres femmes mentionnées dans son courrier de 2007 -, le tueur en série sort brusquement de ses dénégations sur l'affaire Mouzin. Face à la juge Sabine Khéris - la même devant laquelle il a formulé ses ultimes aveux cette semaine -, il déclare qu'il s'agit d'un "sujet à creuser", glissant avoir le "cul merdeux" dans cette affaire. Des fouilles sont menées chez son ex-femmes, dans les Yvelines. En vain.
Le calendrier s'accélère en mars 2019, lorsque l'ex-femme du tueur en série, Monique Olivier, fait tomber son alibi. Devant la magistrate instructrice, l'ancienne épouse affirme avoir appelé leur fils à la demande de son mari, qui ne se trouvait pas à Sart-Custinne le jour de la disparition d'Estelle Mouzin. Où était-il ? Monique Olivier n'est pas en mesure de le dire, faute de certitudes sur l'emploi du temps de "l'ogre des Ardennes", qui s'absentait souvent de façon prolongée.
Pour la justice, l'hypothèse Guermantes est en tous cas subitement remise sur le haut de la pile. Huit mois après le revirement de son ex-femme, Michel Fourniret est mis en examen pour "enlèvement et séquestration suivis de mort" dans l'affaire Mouzin, en novembre 2019. Entendu, il évoque alors une mémoire qui "fiche le camp". "Dans l'impossibilité où je suis de vous dire 'oui, je suis responsable de sa disparition' (...), je vous exhorte à me considérer comme coupable, à me traiter comme coupable." Ce changement de version est-il à relier aux nouveaux témoignages dont disposent les enquêteurs, faisant état de repérages réalisés par le tueur en série en Seine-et-Marne en 2003, selon Le Parisien ? Moins de quatre mois plus tard, devant Sabine Khéris, il vient en tous cas de formuler clairement, pour la première fois, l'existence d'un lien entre deux dossiers qui se croisent depuis plus de seize ans.