C'est un témoignage fort qu'a livré Robert Badinter dans Hondelatte raconte. Toute la semaine, Christophe Hondelatte raconte "Dans la tête de Robert Badinter", une adaptation radiophonique inédite des deux livres de Robert Badinter, L'exécution et L'abolition, basée sur les deux procès célèbres qui ont forgé chez le célèbre avocat sa conviction pour l'abolition de la peine de mort. Parmi ces deux procès-phare, Me Robert Badinter est revenu longuement sur celui de Patrick Henry. Nous sommes en 1977 et Patrick Henry, 24 ans, est jugé pour le meurtre de Philippe Bertrand, âgé de sept ans. Sa culpabilité ne fait aucun doute, sa condamnation est presque déjà actée. La haine de l'opinion publique est immense. C'est un véritable challenge pour Robert Badinter que d'éviter la guillotine, réclamée à cor et à cris, pour Patrick Henry.
"L’affaire Patrick Henry, précisément à cause de son éclat, et il faut bien le dire du sentiment si profond de compassion qu’avait le public pour les parents des victimes et le peu de sympathie – et le terme est faible – que nourrissait Patrick Henry après ses déclarations à la télévision, tout ça faisait du procès de Patrick Henry un procès symbolique.
L'intensité de la haine qui régnait à Troyes contre Patrick Henry était extrême. C'était pour chacun jugé d'avance. Il avait menti d'une façon ignominieuse au public, en disant, et c'était la phrase terrible : 'Des assassins comme ça, il faut les condamner à mort'. Il s'était condamné à mort en public lui-même. Donc pour la défense, ça ne laissait pas une grande marge.
>> Retrouvez "Dans la tête de Robert Badinter", le récit intégral de Christophe Hondelatte (en podcast ici) :
Je n'aimais pas Patrick Henry, et ça ne me gêne pas de le dire. Je n'ai pas de raison d'avoir de la sympathie pour un assassin d'enfant. Là, c'était une question essentielle, le choix de la stratégie. Le crime était abominable, le personnage sans aucun intérêt, il avait agi uniquement pour l'argent. Donc c'était ailleurs qu'il fallait aller chercher la clé. Et pour moi elle était simple et c'est ce que j'ai résolu de faire.
Je l'ai dit aux jurés aussi clairement que possible : 'si vous croyez dans la peine de mort, alors là vous avez un coupable, il a avoué, le crime est odieux, à vous de décider'. Mais si vous n'y croyez pas - et j'ai expliqué pourquoi il ne fallait pas y croire - alors là, le moment est venu de dire non. Ça devenait le procès de la peine de mort. Là où il y avait procès de Patrick Henry, qui était implaidable, j'ai choisi de substituer le procès de la peine de mort.
Et c'est là où, quand j'ai conclu, et je ne l'avais pas préparé, je leur ai dit : 'on abolira la peine de mort, inévitablement, et dans beaucoup moins de temps qu'on le croit', parce que la peine de mort en Europe n'avait plus sa place, et certainement pas en France. Si vous le condamnez à mort, la peine de mort sera abolie et quand vos enfants vous regarderont, ils sauront que vous avez envoyé à la guillotine cet homme, jeune, et que vous avez choisi pour lui de le faire exécuter. Et vous verrez leur regard. Et je me suis rassis. C’était eux (les jurés) que je plaçais face à la peine de mort.
Le problème, le vrai, c’est le courage des jurés et des magistrats. Je reste aujourd’hui encore admiratif que ces jurés aient pu résister à la pression de l’opinion publique. Ça, je le dirai toujours, c’est à leur honneur. C’est une décision qu’ils ont prise comme on dit en leur âme et conscience, mais tellement contraire à ce que souhaitait le public dans son ensemble. Il fallait ensuite rentrer chez soi, avoir la colère des voisins, peut-être le ressentiment des proches…
On ne peut pas savoir à quel point Patrick Henry a été haï. On ne peut pas imaginer la haine qui a entouré cet homme, donc le sauver comme l’ont fait les jurés, lui sauver la vie, permettre qu’il se refasse une vie, c’est un grand, grand acte de courage."
Robert Badinter et "le chemin parcouru depuis 1981"
Le nom de Robert Badinter sera à jamais associé à l'abolition de la peine de mort en France. Une vraie fierté pour celui qui fut ensuite garde des Sceaux entre 1981 et 1986. "J’ai eu beaucoup de chance. C’est très rare, dans la vie d’un être humain que de pouvoir se battre autant que je l’ai fait pour une cause que vous trouvez juste et de la voir triompher. Et d’avoir le sentiment que vous n’y avez pas été étranger... C’est une grande chance et un grand privilège", a-t-il expliqué à Christophe Hondelatte.
Le célèbre avocat a profité de l'occasion pour rappeler à quel point tout cela est allé vite. "Je voudrais faire remarquer à quel point le chemin vers l’abolition universelle a été rapide depuis 1981. C’est une chose dont nos concitoyens ne se rendent pas compte. Quand je suis monté à la tribune de l’Assemblée nationale, la France était le 35e État dans le monde à abolir la peine de mort. Le dernier en Europe occidentale. Aujourd’hui, vous avez 198 États aux Nations-Unies : cent États ont aboli en droit la peine de mort, et cinquante sur les 98 restants ont renoncé en fait à recourir à la peine de mort. C’est dire le chemin parcouru depuis 1981".