"Il était très suffisant. Il disait : 'Libérez-moi, donnez-moi une dernière chance'. J'ai rapidement compris qu'il n'y avait pas de discussion possible. J'avais en face de moi quelqu'un qui était déterminé à repartir" en Syrie. Marc Trévidic, actuel vice-président du Tribunal de grande instance de Nice, a eu affaire à Adel K., l'un des assaillants de l'attaque de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Celui qui fut juge d'instruction au Pôle antiterroriste de Paris pendant 10 ans a donné une interview à l'Express mercredi. Il revient sur sa rencontre avec le terroriste, qui avait tenté deux fois de se rendre en Syrie, en 2015, avant d'être placé sous contrôle judiciaire, équipé d'un bracelet électronique.
Adel K. possède "un profil hyper inquiétant". "Adel K., c'est moi qui l'ai mis en examen. La première fois qu'il a tenté de rejoindre la Syrie, il était encore mineur. La seconde, il était tout juste majeur et j'ai dû émettre un mandat d'arrêt international pour qu'il soit expulsé de Turquie", se souvient Marc Trévidic. "Son cas est typique de l'individu qui veut partir à tout prix (en Syrie ndlr), mais que la justice arrive à retenir. Alors, il se venge en faisant le djihad en France. [Adel K.] possède un profil hyper inquiétant", poursuit l'ancien juge d'instruction, selon qui le départ du terroriste en Syrie aurait pu avoir des conséquences encore plus grave : "S'ils avaient eu (les deux assaillants de l'église) des contacts avec Daech et qu'ils avaient été aidés à distance pour se procurer une kalachnikov, ils auraient sans doute tué tout le monde dans l'église".
"L'incarcération ne règle pas tout". Marc Trévidic a quitté le pôle antiterroriste en septembre 2015. Il n'y était donc plus lorsqu'en mars 2016, Adel K. a vu sa détention provisoire levée, avant d'être remis en liberté sous surveillance électronique. "Il a été libéré au bout de 10 mois de détention provisoire. C'est vrai que cela peut paraître court, mais j'imagine qu'au vu de sa jeunesse et des garanties fournies, il a été décidé de le libérer", explique le magistrat aujourd'hui. "Je rappelle que K. n'avait pas réussi à rejoindre la Syrie et n'était pas en contact avec des membres de l'EI sur zone", poursuit-il.
"Nous sommes faces à des profils atypiques, pour qui le contrôle judiciaire classique ne peut pas marcher", reconnaît toutefois Marc Trévidic. Que faire, donc, pour éviter de relâcher un terroriste dans la nature, sans enfreindre la présomption d'innocence ? "L'incarcération ne règle pas tout. Il suffit de regarder le cas de Larossi A. [le terroriste de Magnanville qui a assassiné un couple de policiers] : je l'avais gardé en détention pendant toute l'instruction. Le tribunal l'a jugé, il a été condamné en septembre 2013 à trois ans de prison dont six mois avec sursis. Puis, il est ressorti et a commis son acte", rappelle le juge. Avant de conclure : "en réalité, tout l'enjeu est de trouver un moyen pour que ces individus ne restent pas dangereux à la sortie. Car ils vont toujours sortir vite. Le délit est puni au maximum de 10 ans".