Le 16 octobre dernier, Samuel Paty, enseignant d'histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) a été assassiné à la sortie des classes par un terroriste islamiste. Après le choc vient le temps des questions : une enquête administrative commandée par le ministère de l'Education nationale doit déterminer si des fautes ont été commises par la hiérarchie, au sens large : les décision du collège, du rectorat et du ministère seront passées au crible. Mais dans le collège de Conflans-Sainte-Honorine, l'assassinat a fait l'effet d'une déflagration dont enseignants et élèves peinent toujours à se remettre. Reportage.
>> LIRE AUSSI -Assassinat de Samuel Paty : les mises en examen pour apologie du terrorisme se multiplient
Des élèves mis en examen
Il aura suffi d'une rumeur pour réveiller la psychose : mercredi, un rôdeur est signalé à la gendarmerie. Tout de suite, un hélicoptère est dépêché au-dessus du collège où le professeur a été assassiné. Fausse alerte, mais la réaction immédiate révèle à quel point le traumatisme reste ancré. "On essaie d’avancer. Tout le monde est toujours choqué de ce qu’il s’est passé mais on essaie... Pas pour que tout redevienne normal, parce qu’on ne doit pas oublier ce qui s’est passé. Mais nous essayons de ne pas rester dans le passé, et d’avancer", explique une élève de 3e. Des dessins de Samuel Paty ornent le hall d'entrée. Mais difficile de tourner la page quand l'un de ses camarades de classe, impliqué dans l'affaire pour avoir désigné Samuel Paty à son bourreau, a été mis en examen et exclu, comme deux autres élèves.
La fille du parent d'élève qui avait lancé une campagne contre Samuel Paty sur les réseaux sociaux a été exclue du collège. Un élève qui a fait l'apologie du terrorisme après avoir diffusé l'image de la dépouille de Samuel Paty a, lui, été exclu quinze jours. Des faits qui s'ajoutent au traumatisme des autres élèves. "C’est très pesant", explique l'un d'entre eux. "Je ne sais pas où est mon camarade, s'il s'en sort. Les professeurs n'en parlent même pas, ils essaient de détourner le sujet. Je me dis que plus ça va, plus il y a des personnes mises en examen. Souvent, ce sont des amis proches."
Les caricatures redoutées par les enseignants
Après l'assassinat de l'un de leurs collègues, les enseignants du collège ont eux aussi été accablés par la détresse. Une dizaine d'entre eux sont en arrêt maladie, soit environ 1 sur 7. Le rectorat de Versailles a décidé de faire intervenir d’autres victimes du terrorisme auprès du personnel enseignant. Ils se sont rencontrés jeudi soir dernier. Le traumatisme généré par l'assassinat pourrait également fragiliser la liberté pédagogique des professeurs, au-delà même des murs du collège de Conflans-Sainte-Honorine. Beaucoup d'enseignants avouent ainsi ne plus souhaiter enseigner la liberté d'expression en employant les caricatures.
Un lien enseignants-élèves qui s'étiole
A Conflans-Sainte-Honorine, entre corps enseignant et élèves se crée une distance, qu'un parent d'élève déplore : "On a l’impression que le personnel du collège n’a pas eu envie de parler du tout de ce qu'il s’était passé. Un couvercle s’est posé, et qui n’est pas prêt de se rouvrir. Nous voudrions au moins que les collégiens aient des informations sur leurs professeurs absents, pour savoir comment ils vont..." Une réunion entre élèves et enseignants est à l'étude.
>> LIRE AUSSI -Ce que Samuel Paty a dit à sa hiérarchie et ses collègues quelques jours avant de mourir
Le ministère de l’Éducation nationale va quant à lui tenter de tirer un bilan national de l'affaire avec en ligne de mire la préparation de la journée du 9 décembre, qui marquera le 115e anniversaire de la laïcité.