La parole et l'écoute se libèrent au sein des étudiants de Sciences Po. Depuis plusieurs jours, les témoignages de violences sexistes et sexuelles, y compris des viols, vécues dans les IEP affluent sur les réseaux sociaux sous le hashtag #SciencesPorcs. Grenoble, Paris, Strasbourg, Toulouse, Bordeaux : aucun campus n'est épargné par ces faits, souvent répétés et banalisés. "Un effort collectif de libération de la parole" auquel Léa, étudiante à Sciences Po Bordeaux, violée par un autre étudiant de sa classe, a voulu participer.
Des faits répétés et banalisés
"Le tout début de l'année, c'est l'intégration. On fait beaucoup de soirées et à ce moment-là, avec un groupe d'amies, on a toutes, à des soirées différentes, été malmenées, voire agressées, voire forcées, par un garçon qui était dans ma classe à faire des actes sexuels, ou attouchées sans notre consentement", confie-t-elle. "Ça a été très violent pour nous parce qu'on arrivait dans l'euphorie de la première année, de l'entrée dans les études supérieures et dans la vie d'adulte. Et on a été très vite été confrontées à cette violence-là."
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Cette libération de la parole et la multiplicité des témoignages n'étonne pas la jeune femme. "Quand je suis arrivée en première année, on m'a très clairement dit, par des femmes qui étaient en troisième ou en quatrième année, de faire attention dans les soirées, faire attention à l'intégration, attention au week-end. Le CRIT, qui est la compétition sportive inter sciences-po, je ne vous en parle même pas...", lâche Léa, pointant la récurrence de ces faits dans les IEP.
Peu de plaintes déposées
Malgré l'avalanche de témoignages, à l'image des violences sexistes et sexuelles, peu de victimes ont osé déposer plainte ou signaler les faits à la justice. Samedi dernier, une plainte a été déposée à Toulouse pour viol, entraînant l'ouverture d'immédiate d'une enquête. Une étudiante explique avoir été victime d'un autre élève, plus âgé. Dès que le directeur de l'IEP de Toulouse, Olivier Brossard, a pris connaissance de l'information, il affirme avoir accompagné cette jeune fille qui voulait d'abord rester anonyme.
"Je lui ai aussi fait savoir que moi, de toute façon, j'allais déposer une plainte comme la loi nous y oblige, avec l'article 40", explique-t-il au micro d'Europe 1. "A partir de là, elle était accompagnée par moi et une collègue, qui s'occupe de ces questions. Elle a cheminé et a fini par déposer une plainte."
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L'IEP de Strasbourg a signalé à la justice, la semaine dernière, des faits remontant au tout début de l'année 2020 entre deux étudiants de la même promotion. La victime ne souhaite pas, pour l'instant, déposer plainte. A Grenoble, deux signalements au parquet sont à noter, datant du 25 janvier et du 8 février. Le procureur de la République, Eric Vaillant, convoquera prochainement les deux jeunes femmes pour les entendre et leur proposer de déposer plainte.
"Je me réjouis de ces campagnes sur les réseaux sociaux quand elles sont pour une noble cause", assure le magistrat. "Cela permet à tout le monde d'être touché, mais après il faut qu'il y ait des enquêtes pénales, que les victimes déposent plainte sinon on ne peut rien faire". Dans les autres villes concernées - Rennes, Aix en Provence ou Bordeaux -, aucune plainte n'a été enregistrée.
L'IEP de Bordeaux met en place un groupe de travail
Plus largement, c'est l'institution qui est dans la tourmente. De nombreuses victimes témoignent en effet du silence de l'administration et du manque d'écoute. Une inertie dont se défend l'IEP de Bordeaux. Les responsables ont rencontré les représentants de l'association féministe mixte à vocation intersectionnelle de l'IEP Sexprimons-Nous, explique Jean Petaux, directeur de la communication, des relations extérieures et institutionnelles de Sciences Po Bordeaux.
"Le directeur de Sciences-Po Bordeaux, Yves Déloye, a fait part à la fois de notre stupéfaction et de notre très grande bienveillance à l'égard des témoignages", assure le directeur de la communication. "Le 11 février, un groupe de travail paritaire rassemblant les huit responsables de l'association Sexprimons-Nous et huit cadres de Sciences Po Bordeaux se mettent au travail sous la présidence de la chargée de mission Egalité femmes-hommes pour améliorer nos procédures."
Si l'IEP prône la tolérance zéro depuis longtemps, "il faut encore améliorer nos procédures", concède Jean Petaux. "La confiance doit être effectivement installée avec les associations étudiantes qui ont un rôle très important à jouer." Au sein du campus bordelais, une carte comportant le numéro d'urgence d'une cellule de veille et d'écoute créée en 2018, est remise à chaque étudiant dès le début de l'année. Mais la différence entre les témoignages et les signalements au sein de cette cellule ont surpris les équipes pédagogiques.
"Vingt cas de toute nature pour la cellule de veille et d'écoute depuis 2018, dont 4 cas de violences sexistes et sexuelles attestées, et une masse de témoignages bien plus importants", constate-t-il. "C'est peut être qu'il est plus facile d'écrire un témoignage devant son écran et de se confier sur une page Facebook, que de faire la démarche pour aller à une cellule de veille et l'écoute d'une institution", imagine-t-il. "Il faut à la fois unir les compétences, faire en sorte que les radars soient les plus complets possibles, que rien ne passe et qu'il y ait aussi la capacité de répondre très vite aux sollicitations."