Stéphanie, 49 ans, victime de viols conjugaux : "On pleure, on ne bouge pas et on attend que ça se passe"

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Grégoire Duhourcau , modifié à
Stéphanie a été victime de viols conjugaux répétés. Elle explique à Olivier Delacroix sur Europe 1, qu'elle n'avait pas conscience de ce qu'elle vivait, avant de finalement porter plainte contre son mari.
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Stéphanie, 49 ans, s'est mariée en 2003 avec un homme et s'est installée avec lui. Elle a alors été victime de viols conjugaux répétés. "Je me réfugiais à faire semblant de m'endormir sur le canapé pour qu'il me laisse tranquille", raconte-t-elle à Olivier Delacroix sur Europe 1.

"Au début, on est mariés, on est heureux, on fait des projets, tout va bien. C'est quelqu'un qui disait toujours qu'il était un enfant gâté et qu'il arrivait à tanner ses parents jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il voulait. Il y avait une grande part de manipulation aussi. C'est difficile à expliquer mais l'idée c'était de mettre l'autre face à des responsabilités qu'il n'avait pas forcément envie de prendre. 

[Et un jour, il y a eu la première relation sexuelle forcée.] C'était assez difficile. La tête ne comprend pas, le corps dit non. On se retrouve comme bâillonné. On ne sait pas quoi faire, on ne comprend pas ce qu'il se passe. Je n'avais pas envie, j'avais des problèmes de santé. C'était non et là, ça n'a pas été des menaces, ça n'a pas été violent au-delà du psychologique, mais c'était des pleurs, des : 'Tu ne te rends pas compte, je me suis préservé pour ma femme et tu ne veux pas. On s'est mariés, on s'est engagés à avoir une vie sexuelle normale.'

 

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"Il ne se passe plus rien dans le cerveau et on attend que ça se termine"

[Pour moi], l'idée c'était surtout de ne pas faire d'esclandre parce qu'il y a eu très vite des enfants et j'avais des enfants d'un premier mariage. Il ne fallait pas que ça se sache, il ne fallait pas qu'il crie, qu'il s'énerve. Et puis, c'est toujours très difficile d'avoir quelqu'un qui est en face et qui vous fait du chantage affectif : 'Tu ne m'aimes pas, du coup je vais être obligé d'aller voir ailleurs. Tu ne te rends pas compte que j'en ai besoin pour pouvoir m'endormir. Ça me détend et puis ça va te faire du bien. On est mariés, on a attendu de se marier pour pouvoir le faire et maintenant qu'on est mariés, tu ne veux pas. Ça fait partie de la vie d'un couple.' On ne sait plus comment dire non. On en revient toujours à cette histoire de devoir conjugal, qui n'est pas une notion existante mais qui dans l'imaginaire fait partie de la vie d'un couple. On se sent obligés.

[Je n'arrivais pas à participer à l'acte sexuel.] Il ne se passe plus rien dans le cerveau et on attend que ça se termine. On pleure, on ne bouge pas et on attend que ça se passe. Le corps et la tête cèdent mais on n'accepte pas. C'est très difficile parce que ça provoque des douleurs supplémentaires. On se dit : 'Mais je dois le faire.' C'est assez conflictuel finalement dans la tête. Le corps est là, on ne sait pas ce qu'il se passe mais on ne réagit pas parce que c'est comme une barrière de protection qui se met.

"Je n'en avais absolument pas conscience, je ne réalisais pas du tout"

[Il y avait une] culpabilité pleine et entière. Je n'avais absolument aucune conscience de vivre [un viol conjugal]. Je n'en avais aucune conscience parce que comme nous avions été isolés, sans vie sociale, qu'en plus l'idée est, quand ça ne va pas, de faire croire aux autres que ça va, on essaye de se convaincre. On essaye de convaincre les autres que ça va bien parce que sinon, ce n'est pas normal et ça ne se fait pas, on devrait être heureux, on a tout pour être heureux. On a des enfants, on a tout.

Ce n'est pas moi qui ai mis les mots [de viol conjugal]. J'ai discuté avec mes grands [enfants] et ce sont eux qui ont commencé à mettre le pavé dans la mare en disant : 'Maman, ça ne va pas, tu n'es pas heureuse.' Ensuite, les petits ont commencé à dire : 'Ça ne va pas, il faut que papa s'en aille.' On est allés voir une conseillère conjugale, une médiatrice familiale et ce sont elles qui ont mis le terme de viol. Moi, je n'en avais absolument pas conscience, je ne réalisais pas du tout.

"Je me réfugiais à faire semblant de m'endormir sur le canapé pour qu'il me laisse tranquille"

[J'ai fini par porter plainte.] J'ai eu la chance d'être extrêmement soutenue par mes enfants, d'être extrêmement soutenue par des amis très proches et j'ai passé le pas. Mais avant de porter plainte, j'ai téléphoné à des associations. Ce que je voulais, c'est que les associations, quand je leur racontais ce que je vivais, me disent : 'Non, ce n'est pas ça, vous vous trompez, ce n'est pas grave.' Et en fait, c'est tout le contraire qu'ils m'ont dit. J'avais cherché partout à être rassurée, qu'on me dise : 'C'est ton devoir de femme.' Et ce n'est pas du tout [ce qui est arrivé]. C'est là que l'on m'a vraiment expliqué ce qu'il s'est passé, que l'on m'a encouragée à porter plainte, chose qui n'est pas évidente. A partir de là, la plainte a été déposée, j'ai pu commencer à en parler et maintenant je veux témoigner parce que les femmes ne s'en rendent pas compte. On est convaincu que c'est comme ça et pas autrement. C'est une erreur parce qu'aucune femme, ni aucun homme, ne doit subir ça mais on n'en est pas conscient. On ne veut pas voir parce qu'on souffre tellement qu'on ne veut pas comprendre.

Je me réfugiais à faire semblant de m'endormir sur le canapé pour qu'il me laisse tranquille. Je fuyais comme je pouvais la maison avec du travail, en stage à droite, en stage à gauche. Je faisais devant tout le monde comme si on vivait une histoire merveilleuse pour essayer de me convaincre. Mais au fond de moi, je sentais qu'il se passait quelque chose. Combien de fois je me suis dit : 'C'est bizarre, j'ai des réflexes de femme violée. Je suis dégoûtée quand il me touche, qu'il m'approche. Je tremble quand je sais qu'il va venir.' Je ne comprenais pas pourquoi. Grâce aux associations, grâce à mes amis et grâce à mes enfants, j'ai pu oser, réaliser. C'est vraiment ça.

Aujourd'hui, je me suis reconstruite parce que je me suis faite aider par un professionnel qui m'a suivie. J'ai déposé plainte et sans cette plainte, sans ce moment où j'ai pu être entendue et reconnue comme victime, je n'avais pas de reconstruction possible. Quoi qu'il advienne de cette plainte, j'ai été entendue, elle a été reçue et j'ai été considérée comme une victime."

L'avis d'Emmanuelle Piet, gynécologue et présidente du Collectif féministe contre le viol :

"Ça m'arrive très souvent de faire des certificats de contre-indication au rapport sexuel quand les femmes disent : 'Je n'ai pas envie, je ne peux plus.' Ça va leur permettre de voir si, au moins pour leur santé, ces garçons peuvent se tenir. Ce sont elles qui vont se dire : 'S'il s'en fout de ma santé, c'est qu'il s'en fout de moi.' Ça va leur permettre d'avancer. L'autre chose que l'on fait quand même assez souvent, c'est de prescrire des lubrifiants remboursés par la Sécurité sociale. Elles le disent très bien : 'Quand on est violée, ça fait mal.' Avec un lubrifiant remboursé, ça fait moins mal. Ce n'est pas le plus agréable d'être prise pour une bûche mais ça fait moins mal. A ce moment-là, on a des femmes, quand elles reviennent quinze jour après, qui disent : 'Ça fait beaucoup moins mal mais il n'aime pas quand je n'ai pas mal.' C'est ça la violence conjugale. C'est quelqu'un qui sait que l'on ne veut pas et qui marque sa domination comme ça. Ce n'est pas du sexe, c'est marquer sa domination."