Il y a trois ans, la France était "Charlie". Dans la foulée de l’attentat commis par les frères Kouachi, le 7 janvier 2015, contre la rédaction de Charlie Hebdo, une manifestation monstre pour la défense de la liberté d’expression était organisée le 11 janvier. Le "numéro des survivants", le 14 janvier, avec en couverture le prophète Mohamed tenant une pancarte indiquant "Tout est pardonné", se vendait à plus de 7 millions d’exemplaires. Et le nombre d'abonnements était multiplié par 17 en l'espace d'une semaine. Aujourd'hui, que reste-t-il de cette mobilisation ?
Un quotidien sous haute sécurité. "Trois ans dans une boîte de conserve". Ces mots, écrits en lettre rouges en tête du numéro spécial de Charlie Hebdo, résument à eux seuls un quotidien 'bunkérisé', sous haute sécurité. Trois millions d'euros ont été dépensés pour aménager de nouveaux locaux tenus dans un lieu secret. Un numéro sur deux vendu finance la sécurité. Chaque journaliste est également escorté tous les jours, car beaucoup reçoivent encore des lettres de menaces.
La Une du dernier numéro de "Charlie Hebdo"
Une sécurité nécessaire, mais qui "pose question". Ces mesures de sécurité sont nécessaires, mais difficiles à vivre pour les membres de l'équipe. "Le fait d'arriver dans une rédaction blindée vous rappelle que c'est là pour une bonne raison. La sécurité est évidemment optimale. C'est une condition indispensable pour que les membres de la rédaction de Charlie Hebdo, aussi bien ceux qui étaient là le 7 janvier que ceux qui sont arrivés après, puissent venir sereinement faire leur travail", juge Gérard Biard, rédacteur en chef de l'hebdomadaire satirique. "Après, cela pose un certain nombre de questions. Est-ce qu'il est normal qu'un journal, en 2018, en France, dans une démocratie en paix, pour continuer de paraître, soit obligé de vivre derrière des portes blindées, avec des gens pour assurer sa sécurité ? Je pense que ce n'est pas normal", estime-t-il au micro d'Europe 1.
Une peur constante. Trois après, le deuil reste "difficile, impossible", pour Patrik Pelloux, urgentiste, l'un des premiers arrivés sur place après l'attentat. Il a depuis quitté l'équipe du journal, mais il en reste très proche. "Je suis toujours très attentif à ce qui se passe à Charlie. Je soutiens cette liberté et cet humour", affirme-t-il au micro d'Europe 1. "Vous vivez tous les jours avec ce poids, en y réfléchissant, en essayant de pétrir la douleur qui vous étreint, de manière à pouvoir survivre", confie-t-il. Charlie Hebdo est toujours profondément marqué par la peur des attentats. La plupart des collaborateurs consultent des psychologues ou des psychiatres. Ils continuent d'écrire pour exorciser, dans un journal satirique qui a perdu deux tiers de ces lecteurs depuis janvier 2015. L'hebdomadaire ne compte aujourd'hui que 50.000 abonnés, et s'écoule à 100.000 exemplaires environ, soit quatre fois moins que dans les mois qui ont suivi les attentats.