Deux mains qui se tiennent du bout des doigts dans la pénombre. Fred et sa voisine, Elisa, sont allongés dans la fosse du Bataclan. Ils sont vivants mais baignent dans le sang. Nous sommes le 13 novembre 2015... Fred c'est Fred Dewilde, un graphiste de 50 ans, qui raconte dans Mon Bataclan (Lemieux), une bande dessinée, assortie de 22 pages de témoignage, à paraître vendredi, son effroyable expérience.
"Un vivant chez les morts". Le dessin est en noir et blanc. Les terroristes représentés sous forme de squelettes, ont le visage blême de la mort. Quand ils commencent à tirer, "nous ne sommes plus qu'une masse grouillante de vivants, de blessés, de morts, une masse de peur, hurlante de terreur", se souvient Fred. Il se retrouve allongé près d'un mort. "Je prends la mesure de ce qu'on est en train de vivre. Je suis encore vivant... Un vivant chez les morts".
Deux heures de calvaire. Sur sa gauche gît une jeune femme. Blessée mais vivante. "Elle pourrait être ma fille", se dit Fred. C'est Elisa. A voix basse, ces deux là qui ne se connaissaient pas tentent de se réconforter. "On se détache de cette horreur, on se crée une bulle d'humanité". Ils savent qu'au moindre cri les assassins tireront sur eux. Chacun tient pour que l'autre puisse tenir. Surtout ne pas craquer. Leur calvaire durera deux heures jusqu'à l'arrivée de la police. Fred est vivant mais détruit. "Je connais, l'odeur, le goût de l'atrocité, de l'incompréhensible".
Réapprendre à vivre. La deuxième partie de l'album s'intitule "vivre encore" et on s'aperçoit que cela ne va pas de soi. "Est-ce vraiment utile de se laver aujourd'hui ? Manger ? Pas faim !". Il faut vivre avec la peur du bruit, la peur tout court. Fred raconte être devenu "incapable" de rester concentré plus de quelques minutes. Pour se reconstruire, Fred peut compter sur sa famille. "Ma femme m'a porté". Il y a aussi l'humour ("Mon côté Monthy Python"). Dans la fosse du Bataclan, il a trouvé la force de raconter des blagues à Elisa.
"Ne pas haïr". L'album Mon Bataclan aussi l'a aidé à refaire surface. "Comme par hasard, j'ai fini les dessins le vendredi 13 mai. Six mois après, jour pour jour". Fred Dewilde affirme qu'il n'a "pas réussi à haïr" après le Bataclan. Il ne faut "pas tomber dans la peur du foulard, du basané, de l'autre", écrit-il dans un postface rédigée après l'attentat de Nice. "L'ennemi n'a pas de couleur, pas de confession. L'ennemi, c'est le fanatisme, c'est la peur, c'est la folie qui conduit à la guerre".