Comment lutter contre la désinformation sur internet ? Comment empêcher les "Fake news", ces prétendues informations circulant sur internet et qui sont en réalité des faux contenus montés de toutes pièces (ou de vraies informations détournées, décontextualisées) destinés à des fins commerciales ou de propagande ? Pour Emmanuel Macron, cela doit passer par un durcissement de l’arsenal législatif. Le chef de l’Etat promet en effet un texte de loi avant la fin de l’année. "Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles", a-t-il annoncé mercredi, lors de ses vœux à la presse, indiquant que "le contenu de ce texte sera détaillé dans les semaines qui viennent". Mais peut-on vraiment faire mieux que ce qui se fait déjà ? Si tout le monde s’accorde pour lutter contre ces "Fake news", la méthode voulue par le président de la République laisse encore beaucoup de sceptiques.
Une loi qui existe déjà…
Actuellement, la désinformation est encadrée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Celle-ci punit d’une amende de 45.000 euros "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler". Le code électoral interdit également "le détournement de votes" par le biais "de nouvelles fausses". En cas de plainte, c’est au juge d’investiguer et de déterminer s’il s’agit, ou non, d’une fausse information.
… Mais qu’il faut adapter à l’ère numérique
Mais le chef de l’Etat veut aller plus loin, car cette loi s’applique à la presse, et les réseaux sociaux bénéficient donc encore d’une forme de flou juridique. Aujourd’hui, en effet, les réseaux sociaux sont largement rémunérés via la publicité. Or, un producteur de "Fake news" peut très bien acheter un espace publicité sur Twitter, Facebook ou autres Instagram pour rendre visibles de fausses informations.
"Emmanuel Macron a en tête l'exemple américain. Durant la campagne électorale de 2016, des milliers de publicités sur Facebook ont été achetées par de faux comptes russes, qui en ont profité pour diffuser des messages sur des sujets sensibles, comme l'immigration ou les violences policières, afin de polariser l'électorat américain", rappelle Le Figaro. Et de poursuivre : "En payant à chaque fois quelques centaines de dollars à Facebook, ces contenus, publiés sur des comptes en anglais, ont été poussés sur les fils d'information de nombreux Américains en fonction de leur profil sociologique ou de leurs opinions politiques".
Emmanuel Macron, qui a lui-même été victime de désinformation durant la campagne présidentielle (il a porté plainte contre X pour "faux, usage de faux et propagation de fausse nouvelle" après avoir été la cible de nombreuses rumeurs sur internet, dont l'une concernait la détention supposée d'un compte aux Bahamas) veut donc prévoir un arsenal juridique adapté aux réseaux sociaux.
Plus de transparence, plus de sanctions
Pour contrer le phénomène des Fake news, les plateformes se verront donc "imposer des obligations de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés afin de rendre publique l'identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent, mais aussi de limiter les montants consacrés à ces contenus", a annoncé le chef de l’Etat, avant d’évoquer de nouvelles sanctions à venir : "En cas de propagation d'une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant, le cas échéant, de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l'accès au site internet", a-t-il poursuivi.
Emmanuel Macron a également annoncé que les pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) "seront accrus pour lutter contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des Etats étrangers". "Cela permettra (...) de refuser de conclure des conventions avec de tels services", ou de "suspendre ou annuler" ces conventions "en prenant en compte tous les contenus édités par ces services, y compris sur internet". En clair, les médias qui s’essaieraient aux "Fake news" risqueraient de se priver du droit d’émettre, puisque ce droit nécessite une convention avec le CSA.
Difficile de ne pas voir, dans ces annonces, une référence aux médias pro-Kremlin Russia Today et Sputnik, que le chef de l'Etat avait accusé par le passé de véhiculer "des contrevérités infamantes" et d'être des "organes de propagande mensongère", opposés à sa candidature à la présidentielle.
Des risques de censure…
Ces annonces, qui restent encore floues, sont d'ailleurs loin de faire l’unanimité, accusées par certains d'être les prémisses d'un futur outil de censure des médias qui ne conviendraient pas à l'Elysée. "Le Prince entend désormais régenter le métier de ceux qui doivent commenter, contrôler et borner le Prince", s'est inquiété Gilles Platret, porte-parole de LR, sur Twitter. "Emmanuel Macron souhaite-t-il faire des journalistes des attachés de presse au service de son story-telling ? Cette proposition est dangereuse pour la liberté de la presse", a renchéri Lydia Guirous, également porte-parole de LR, sur le même réseau social. Dès mercredi cette proposition avait été jugée "inquiétante" par la présidente du FN Marine Le Pen et par son ancien lieutenant Florian Philippot, fondateur des Patriotes.
"Certains hommes politiques ont tendance à dire que les 'Fake news', ce sont des informations qui les gênent […] Il y a toujours un risque de censure. Comment (et qui va le faire) démêler le bobard, le canular, d'un vrai 'fake news' ? Va-t-on condamner un étudiant qui fait une blague ?", s’interroge également Jacques Henno, journaliste spécialisé dans les Nouvelles technologies, auteur de Facebook et vos enfants, interrogé par Europe 1.
> Notre journaliste Géraldine Woessner résume dans un tweet les principales interrogations :
Je ne comprends pas. Qui dira ce qui est fake ? La loi ? Une cellule de fact check ? Interne aux plateformes, ou pas ? Un comité, un collège...? Pour les recours, il y aura un tribunal ? Interne aux plateformes, ou pas ? Etc etc etc... ? https://t.co/cMIE4PmCcW
— Géraldine Woessner (@GeWoessner) 3 janvier 2018
Invité d’Europe 1, Thierry Vallat, avocat spécialisé dans les problématiques numériques, apporte toutefois une nuance : "Il y a toujours une balance entre la liberté d'expression et la lutte contre la désinformation", même avec la loi actuelle. "Aujourd’hui, c’est le juge qui détermine. Il y a déjà une vraie difficulté", poursuit-il. "Ce qui me gêne un peu plus (que l’annonce d’une nouvelle loi ndlr), c'est la volonté d'Emmanuel Macron de développer les compétences du CSA. Avec une sanction de rupture de convention, il y a bien un petit peu l’idée d’une censure déguisée. On sait qu'il y a eu des médias directement visés par Emmanuel Macron. Comment cela peut-il se mettre en place ? Ça, cela me pose problème", reconnaît l’avocat.
… Et d’inefficacité ?
Autre doute concernant cette future réforme : comment s’attaquer à des réseaux sociaux ou des médias basés à l’étranger ? "Quel sera le pouvoir d'un juge français sur un site hébergé à l'étranger ?", s’interroge Jacques Henno. "Ces ‘Fake news’ représentent beaucoup de trafics, de clics, cela représente donc de l'argent pour les réseaux sociaux. Ils sont partie prenante, ils ont intérêt à ce qu'il y en ait. Donc tout dépendra du montant de la sanction", poursuit le journaliste, reconnaissant au passage que le futur débat autour de cette loi aura pour mérite "d’attirer l'attention du grand public sur ce phénomène". "La meilleure façon de lutter, selon moi, c’est de faire de la pédagogie. Or, il est vrai qu’aujourd’hui les pédagogues (journalistes, enseignants, gouvernement…) sont eux-mêmes dans le collimateur de ceux qui croient au Fake news", reconnaît-il.
En Allemagne, où une loi a récemment été adoptée pour interdire les ‘Fake News’, tout média qui en relaye et refuse de les retirer risque une amende de… 50 millions d’euros. Adoptée l’an dernier, cette loi n’a donnée lieu, pour l’heure, à aucune condamnation.