Une première salle d'injection destinée aux toxicomanes va ouvrir à Paris, vendredi. Il n'en existait aucune en France, alors qu'une centaine de salles est déjà ouverte partout dans le monde. Autorisée par la loi Santé votée en décembre dernier, cette salle restera ouverte pendant six ans, durée de l'expérimentation prévue par la loi. Environ 200 personnes par jour sont attendues par les associations qui gèrent la salle que la ministre de la Santé Marisol Touraine et la maire PS de Paris Anne Hidalgo visiteront dès mardi. Europe 1 vous résume les enjeux en cinq questions.
Comment se passe l'utilisation de la salle ?
Il s'agit d'une salle de 430 m2, avec six box individuels destinés aux injections, six autres places dans une salle commune, une salle d'inhalation, une salle de repos et un cabinet infirmier. Les toxicomanes sont accueillis sous un préau, puis ils sont appelés au fur-et-à mesure qu'une place se libère. A l'intérieur, une vingtaine d'éducateurs, médecins et infirmiers sont là pour les encadrer, répondre à leurs questions, prodiguer des conseils de prévention ou intervenir en cas de problèmes (une overdose par exemple). Dans les placards, des seringues stérilisées, du coton et du désinfectant sont mis à disposition des usagers. Ces derniers doivent venir avec leur propre drogue mais ils ont l'obligation d'utiliser le matériel de la salle. Celle-ci sera ouverte sept jours sur sept, de 13h30 à 20h30. Chaque usager est enregistré à l'entrée, au moyen d'un pseudo s'il le souhaite. En théorie, les mineurs sont interdits d'accès. Mais l'anonymat des usagers étant respecté, il est difficile de contrôler leur âge exact.
A l’intérieur de la salle, les toxicomanes ne pourront pas être poursuivis par la justice pour "usage illicite et détention illicite de stupéfiants", sauf s'ils essaient de dealer. Selon Le Monde, les policiers ont par ailleurs reçu une "note confidentielle d’instruction du procureur de la République de Paris leur indiquant un périmètre de tolérance judiciaire à l’égard des usagers aux abords de la salle".
Où est-elle située (et pourquoi ce lieu ?) ?
Dans un premier temps, la "salle de shoot" devait ouvrir boulevard de la Chapelle, plus au nord du 10e arrondissement. Mais la proximité de camps de migrants avait poussé les autorités municipales à sélectionner une autre adresse. La salle ouvre donc finalement dans une annexe de l’hôpital Lariboisière, toujours dans le 10e arrondissement de Paris : c'est en effet dans ce quartier que les autorités trouvent le plus de seringues usagées jetées dans la rue ou dans les sanitaires publics. Une entrée discrète par la rue permet aux usagers de rentrer sans croiser les patients de l'hôpital. En outre, la présence de l'hôpital facilite une intervention rapide en cas d'overdose ou de situation d'urgence.
Quels sont les objectifs espérés ?
Les objectifs d'une telle salle sont multiples. Il s'agit, par exemple, de pouvoir intervenir rapidement en cas d'overdose. L'idée est également de mettre à disposition du matériel propre, pour éviter la transmission de différentes maladies virales infectieuses (Sida, hépatite C, B…) qui peuvent se faire par contact de sang à sang, via une seringue (injections) voire une paille ou un billet de banque (drogues de sniff). Les associations espèrent aussi pouvoir convaincre des usagers d'entamer des parcours de sevrage ou de faire des dépistages, en fournissant sur place de la documentation ou en proposant des rendez-vous médicaux et sociaux.
Selon une vaste enquête de l'Inserm publiée en 2010 et réalisée à partir des expérimentations dans d'autres salles du monde, les salles d'injections permettent par exemple d'éviter dix overdoses fatales par an en Allemagne et quatre par an à Sydney, le tout sans augmenter le nombre total d'overdoses. Une étude menée à Vancouver suggère également que deux décès liés au VIH sont évités tous les ans grâce à la salle d'injection de la ville canadienne. Entre 15 et 20% des usagers de ces salles suivent par ailleurs les conseils du personnel et se font suivre médicalement.
Pourquoi cette salle n'ouvre-t-elle que maintenant ?
Le premier local d'injection du monde a ouvert ses portes en Suisse en 1986. Depuis, l'Espagne, l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas le Canada ou encore l'Australie ont suivi. Pourquoi la France a-t-elle attendu si longtemps ?
En réalité, une salle avait déjà ouvert ses portes entre 1994 et 1995, à Montpellier, gérée par l'association Asud-Montpellier. "On avait trouvé un vide juridique qui existe toujours : en France, il n'est pas illégal de s'injecter un médicament de substitution", expliquait en 2012 Estelle, l'une des membres de l'association, contactée par Midi Libre. Mais l'association disposait de peu de moyens. Une seule salle, dans laquelle se trouvait une seule table, était mise à disposition des usagers. Au bout de quelques mois, une adolescente a fait une overdose. Et face à l'absence de soutien des pouvoirs publics, l'association a mis la clé sous la porte en juillet 1995.
Depuis, les différentes tentatives ont été vivement combattues, notamment par la droite, les opposants voyant dans ces salles un moyen de se droguer davantage. La possibilité d'une expérimentation avait été évoquée par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de 2007 à 2010, avant d'être rejetée par François Fillon alors Premier ministre. En 2013, le Conseil d'Etat saisi par la nouvelle majorité, avait recommandé de passer par une loi avant de lancer l'expérimentation. Il a donc fallu deux ans à la ministre de la Santé actuelle, Marisol Touraine, pour la rédiger et la faire voter. Et encore un an à la ville de Paris pour trouver un lieu adéquat. Preuve que le projet divise encore : selon Le Monde, le Conseil régional d’Île-de-France, passé à droite en 2015, a retiré les subventions prévues par la précédente majorité.
Que va-t-il se passer après ?
La mairie (PS) de Strasbourg a d'ores-et-déjà annoncé qu'elle espérait ouvrir sa propre salle en novembre. Du succès des salles d'injection parisienne et strasbourgeoise dépendra la suite de cette politique sur l'ensemble du territoire. D'après un rapport parlementaire paru en décembre 2015, les associations seraient également prêtes à ouvrir une salle à Bordeaux. "Le conseil municipal s'est déclaré favorable à l'expérimentation d'une salle de consommation à Bordeaux", expliquait également à l'époque Véronique Latour, directrice d'un centre de soin local pour toxicomanes, citée par France Bleu. Interrogé peu après sur le sujet, le maire de Bordeaux Alain Juppé, candidat à la primaire de droite pour la présidentielle, s'était toutefois déclaré "pas candidat" pour le moment.