"À Tolbiac, ce qui s'exprime aujourd'hui, ce n'est pas une mobilisation étudiante, mais un petit groupe radical qui profite du moment pour se donner une tribune". Lors des questions à l'Assemblée nationale mardi, la ministre de l'Enseignement supérieur a déploré "le retour d'une certaine extrême gauche" et "d'une certaine extrême droite", qui profiteraient de la contestation dans les universités pour "en découdre". Mais de qui parle-t-on exactement ?
Une multiplication des affrontements
Vendredi dernier, des échauffourées ont éclaté devant le site universitaire de Tolbiac, à Paris, bloqué depuis fin mars par des étudiants et des militants. Selon plusieurs témoins, une vingtaine de personnes, casquées ou masquées et brandissant une banderole "Fac Libre", sont venues défier les occupants, battes de baseball à la main. Les heurts n'ont fait aucun blessé, mais six personnes âgées de 19 à 21 ans - cinq issus d'universités différentes et un lycéen - ont été arrêtées. Elles seront jugées en septembre pour "participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations". L'un d'eux le sera aussi pour "port d'armes" de catégorie D, en l'occurrence un couteau.
Qui sont donc ces six jeunes ? Selon une source policière, il s'agirait de membres de l'"ultra-droite". Une version corroborée par les manifestants qui occupent les lieux, pointant du doigt "des membres de groupuscules d'extrême droite". Les opérations coups de poing se sont en tout cas multipliées ces derniers jours.
Ces incidents rappellent en effet l’attaque du Lycée autogéré de Paris, cible le 16 mars dernier de militants "se revendiquant du GUD (Groupe union défense, ndlr)" - un syndicat étudiant d'extrême droite connu pour sa violence -, "armés de barres de fer" qui ont "effectué des saluts nazis, proféré des insultes" et "agressé deux élèves", selon la direction de l'établissement. Mais aussi l’évacuation violente de la fac de droit de Montpellier, dans la nuit du 22 au 23 mars. D'autres incidents se sont produits à Lille 2 le 27 mars, à Strasbourg le lendemain, ainsi qu'à Angers, le 3 avril. Le même jour, un militant de la Cocarde étudiante, une association à la limite de la droite souverainiste et de l’extrême droite, était violemment malmené à Tolbiac après avoir tenté de tracter contre le blocage.
Peut-on parler de résurgence ?
"Avec ces blocages, une certaine politisation est visible, notamment dans la mouvance de la gauche radicale. Le nombre des incidents qui ont opposé l'ultragauche à l'ultradroite est d'ailleurs supérieur à ce à quoi on était habitués ces dernières années", observe auprès d'Europe1.fr Jean-Yves Camus, le directeur de l'Observatoire des radicalités politiques. Avant de nuancer : "Cela reste néanmoins assez modeste. Rien à voir avec les années 1970-1980.
" Rien à voir avec les années 1970-1980 "
"On ne veut pas grossir le trait. Ces violences sont le fait d’une dizaine de types qui se chauffent", tempèrent aussi dans les colonnes du Mondedes militants du Siamo (Sorbonne intervention antifasciste militante et organisée). Sur le site des Inrocks, un autre étudiant estime quant à lui que les méthodes employées vendredi "ne peuvent pas être le fait de simples étudiants qui veulent reprendre les cours. Cela fait plutôt penser aux méthodes du GUD et de l'Action française”.
Des mouvances nébuleuses
Officiellement le "Comité anti-blocage", comme il se revendique lui-même, n'est affilié à aucun groupe. Quelques membres de l'Action française en font cependant partie. Contacté par Le Monde, Antoine Berth, le porte-parole de l'organisation nationaliste, appelle ainsi "tous les étudiants anti-blocage à rejoindre ce comité. Mais il n’est pas piloté par l’Action française", précise-t-il. Et d'ajouter : "Après, s’il faut prêter main-forte…" . "Ce n'est évidemment pas une revendication explicite, parce qu'elle pourrait avoir des conséquences, mais c'est l'expression d'une sympathie et d'une mise à disposition", décrypte Jean-Yves Camus auprès d'Europe1.fr. "Après, est-ce que ça engage le mouvement en tant que tel ? C'est une autre paire de manches...".
Contacté par l'AFP, Maxime Duvauchelle, le fondateur de la Cocarde étudiante, assure lui que les "partisans de l'occupation (de Tolbiac) n'ont pas besoin de nous pour se discréditer".
Quant au GUD, il se serait auto-dissous l'an passé afin de laisser place à un nouveau groupe, le Bastion social, sous la houlette du militant "nationaliste-révolutionnaire" Steven Bissuel. "Mais est-ce que cette transformation du GUD en Bastion social est une transformation totale, c'est-à-dire que les militants cessent d'agir selon le mode opératoire du GUD - généralement des opérations coups de poing - pour passer au type d'actions préconisées par le Bastion social, qui sont toute autre chose, ou est-ce que finalement il y a toujours les deux ? C'est une vraie question", s'interroge Jean-Yves Camus.
Les dirigeants de la mouvance identitaire d'extrême droite "ont énormément travaillé à expliquer à leurs militants que la violence physique était contre-productive", avance de son côté Nicolas Lebourg, chercheur à l'Observatoire des radicalités politiques et chercheur associé au CEPEL (CNRS-Université de Montpellier), auprès de l'AFP.
Que cherchent-ils exactement ?
Outre une guerre de territoire, ces affrontements s'apparentent aussi à une guerre de visibilité. Sur ce terrain, leur arme favorite est évidemment Internet. L'affrontement de vendredi dernier à Tolbiac a notamment été filmé par une petite agence de presse, LDC News (Ligne de Conduite), dont l'un des fondateurs n'est autre que Leopold Jimmy, ancien candidat du Front national, écarté par le parti après une affaire de port illégal d'uniforme.
" Il s'agit de faire parler de l'extrême droite étudiante et de montrer qu'elle existe "
"Cela fait aussi partie de la bataille symbolique. Il s'agit de faire parler de l'extrême droite étudiante et de montrer qu'elle existe", explique auprès d'Europe1.fr Jean-Philippe Legois, vice-président du Groupe d'études et de recherche sur les mouvements étudiants (Germe). "Ils ne s'expriment d'ailleurs pas du tout sur le fond de la réforme ou sur la situation générale de l'université".
Du côté des défenseurs de la réforme, Emmanuel Macron en tête, on ne cesse de pointer la volonté des organisations d'extrême gauche de parvenir à une "convergence des luttes" sociales en France, "loin des sujets liés à l'enseignement supérieur et à la réforme" engagée par l'État. "Le gouvernement a tout intérêt à ce que le mouvement actuel se réduise à un affrontement entre groupes d'extrême gauche et groupes d'extrême droite. Mais on voit bien que ce n'est pas que cela", signale cependant le vice-président du Germe.
Un risque de décrédibilisation
Les étudiants grévistes regroupés au sein de la "Commune libre de Tolbiac" craignent d'ailleurs que cette violence ne vienne les décrédibiliser. "À tous ceux qui voudraient se saisir du prétexte de la sécurité des étudiants mobilisés pour briser notre mouvement, nous rappelons que notre sécurité est d'abord menacée par les entraves mises en application par l'administration”, lançait encore une étudiante, le visage masqué, lors d'une "auto-conférence" de presse, le 7 avril dernier.
Le président de l'université Panthéon-Sorbonne a d'ailleurs officiellement demandé, dans une lettre adressée lundi à la préfecture de police, l'intervention des forces de l'ordre pour lever le blocage. Cependant, via un communiqué, la préfecture de police n'a pas tardé à faire savoir qu'elle n'avait pas "donné suite" à cette requête et qu'elle n'avait reçu "aucune nouvelle demande depuis". Trois universités sont toujours entièrement bloquées depuis plusieurs jours, voire semaines : Paul-Valéry à Montpellier, Jean-Jaurès à Toulouse, et l'Université de Saint-Denis (Paris 8).