Le procès des attentats de janvier 2015 se poursuit devant la cour d'assises spéciale, à Paris. Pendant plusieurs jours à compter de ce lundi, les magistrats entendront les témoignages des victimes de la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Au terme de quatre heures de cauchemar, trois clients et un employé de l’enseigne avaient été tués par Amedy Coulibaly, avant que ce dernier soit abattu lors de l’assaut des forces du RAID et de la BRI.
Plus de cinq ans après les faits, seul un petit nombre des anciens otages du magasin se présentera devant la cour pour témoigner, lundi. "Pour moi, c'est un devoir", explique Zarie au micro d'Europe 1. "Je me dois de raconter ce qui s'est passé pour que justice soit faite". Ancienne caissière de l’Hyper Cacher, âgée de 22 ans à l’époque, elle reste profondément marquée par ces événements. "Ce qui s'est passé ce jour là fait partie de ma vie et ce n’est pas quelque chose que l'on peut oublier." Si elle décrit des "bruits" et des "odeurs" qui se sont "peut-être un peu atténués avec le temps", sa mémoire des événements est restée intacte, "comme si ça s’était déroulé hier". "Je ne pourrai jamais oublier."
Les premiers coups de feu d'Amedy Coulibaly
Pour Europe 1, Zarie déroule la chronologie de cet après-midi d’hiver, un film qu’elle a déjà maintes fois rejoué dans sa tête. La voix légèrement tremblante, Zarie raconte les premiers coups de feu d’Amedy Coulibaly qui blessent mortellement Yohan Cohen, employé du magasin, âgé de seulement 20 ans. "Il a souffert pendant pas mal de temps. Le voir souffrir, ça a été, pour moi, une des choses les plus difficiles pendant la prise d'otages."
Elle se souvient aussi de ses tentatives désespérées pour dissuader François-Michel Saada d'entrer dans le magasin. Alors qu'elle obéit aux ordres du preneur d'otage et abaisse le rideau métallique, ce retraité de 64 ans insiste pour faire quelques achats, ignorant qu’une attaque terroriste débute. Il réalise trop tard son erreur, rebrousse chemin mais est également abattu de deux balles dans le dos. "Parler à quelqu'un et le voir mort à côté deux secondes après, c'est très très dur. Je me sens très coupable (…) j'ai fait ce que j'ai pu, mais peut-être que ce n'était pas assez. Peut-être que j'aurais dû fermer plus vite le rideau de fer et la porte… Et comme ça, il n'aurait pas pu rentrer."
Des aller-retours dans le sous-sol du magasin
Par la suite, Amedy Coulibaly s’adresse plusieurs fois directement à la jeune femme. Menaçant un otage de son pistolet, il la force à aller chercher les clients réfugiés dans la chambre froide au sous-sol du magasin. "Il m'a dit : ‘tu as dix secondes pour aller chercher les gens qui se sont réfugiés en bas’, donc je suis descendue en tremblant." Elle effectuera l'aller-retour à plusieurs reprises : "Tout le monde me disait : ‘Non, on ne monte pas, on a peur, on ne veut pas mourir’." Parmi les quelques personnes qui acceptent de quitter leur cachette, Yoav Hattab, 21 ans, tente de s’emparer d’une des armes du preneur d’otage, abandonnée sur un carton, mais ne parvient pas à le neutraliser. Il le paye de sa vie.
"J'étais sûre de mourir ce jour-là", poursuit Zarie. "Je me demandais juste quand. D’ailleurs, je priais pour que ce soit juste une balle dans la tête. Que je ne souffre pas longtemps." Après cela, le terroriste multiplie les menaces. Pour tenir les otages en respect, il va jusqu'à exhiber son arsenal. Il ouvre un sac de sport dans lequel il rassemble couteaux, armes à feu et explosifs. Amedy Coulibaly demande aussi des renseignements sur ses otages : âge, nom, nationalité et... religion. Un élément qui tend à confirmer le caractère antisémite de l’attaque. "Il a voulu nous tuer parce qu'on était juifs et français", affirme Zarie. "Il en avait après nous."
Vivre avec le souvenir de l'attaque
"A 22 ans, je n'avais jamais vraiment pensé à la mort à cet âge là. Donc quand c'est arrivé, j'avoue que ça a été un choc énorme", souffle la jeune femme. Alors que cinq années sont passées depuis les attentats, elle raconte qu'elle a multiplié les visites aux psychologues et aux psychiatres. Et évoque la "volonté" qui lui a été nécessaire "pour aller mieux", un travail de chaque instant pour vivre avec ce souvenir. "J'ai eu la chance de survivre (...) J’ai reçu la vie une deuxième fois en cadeau", conclut-elle.