Après le carnage dans le stade de Port-Saïd qui a fait mercredi soir au moins 74 morts et des centaines de blessés, la colère monte. Jeudi après-midi, près de 2.000 supporters d’Al-Ahly, le club de foot du Caire, sont descendus dans les rues de la capitale pour protester. Sorte de bras armé de la révolution égyptienne de l’année dernière, les supporters d’Al-Ahly sont persuadés que l’attaque de mercredi a été organisée contre eux par le pouvoir militaire en place.
Le 2 février 2011, des miliciens de Moubarak débarquent place Tahrir sur des chameaux et des chevaux pour attaquer les manifestants. Déjà en première ligne, les Ultras d’Ahlawy (le nom du kop) répliquent. Un épisode très symbolique qui met en évidence les liens étroits entre ces supporters de foot et les révolutionnaires.
Mais qui sont vraiment ces Ultras d’Ahlawy ? "Au milieu de ces groupes, il y a beaucoup de jeunes gens instruits, mais aussi des gens qui prient, des coptes, des jeunes et des moins jeunes,… bref un vrai melting-pot de la société égyptienne", raconte Mathieu Ropitault, journaliste au magazine Yards qui a réalisé un reportage en octobre dernier sur ces supporters. "Ils se retrouvent autour d’une même passion, celle d’Al-Ahly qui coule dans leurs veines". On est bien loin de l’image du hooligan ultra-violent qui veut juste en découdre avec les supporters adverses.
Des groupes organisés et habitués aux affrontements
La naissance des Ultras d’Ahlawy est assez récente d’après les spécialistes. En 2007, une poignée de supporters du club cairote tente de sortir une banderole dans un match. "Ils ont été immédiatement réprimés par les forces de l’ordre", explique Mathieu Ropitault. "Ils n’ont pas compris pourquoi ils n’avaient pas le droit de manifester leur soutien au club. Ils ont donc commencé à prendre en grippe les policiers". Le nombre des Ultras augmente très vite (ils seraient près de 5.000 aujourd’hui, ndlr) et leurs oppositions avec les forces de l’ordre se multiplient. Une haine de l’uniforme confirmée par Sonia Dridi, correspondante pour France 24 au Caire. "A chaque fois qu’ils y a des affrontements avec la police ou l’armée, les Ultras d’Ahlawy sont là. Ils ont une haine viscérale".
En août 2010, un incident va marquer l’histoire des Ultras d’Al-Ahly. "A la sortie du match contre Kafr el-Sheikh, 21 policiers se retrouvent sur les brancards", raconte Mathieu Ropitault. "L’opinion publique comprend alors que le régime n’est pas invincible". Les associations et donc les groupes de supporters sont interdits en Egypte mais les membres d’Ahlawy vont réussir à s’affranchir des autorisations étatiques. Et petit à petit, ils vont délivrer leurs messages dans les tribunes. Des banderoles de soutien pour les manifestants de la place Tahrir, des chants révolutionnaires, tout y passe pour soutenir le printemps arabe.
"Des supporters devenus un groupe politique"
A chaque affrontement sur la place Tahrir, les membres d’Ahlawy sont là. "Quand ils arrivent, on les reconnaît tout de suite", explique Sonia Dridi. Habillés de rouge (les couleurs du club d’Al-Ahly), ils sautent beaucoup et agitent des banderoles. "Ils sont aussi très organisés", estime Mathieu Ropitault, journaliste au magazine Yards. "Ils connaissent les modes de fonctionnement des policiers et n’ont pas peur du combat. Pendant la révolution, ils ont tenu les grands axes routiers et protégé les manifestants".
Si les réseaux sociaux ont joué un rôle considérable dans le printemps arabe, les Ultras d’Ahlawy ont eu aussi une place capitale. "J’étais à leurs côtés pendant les violents affrontements juste avant les élections législatives, en novembre dernier", raconte Marwan Chahine, correspondant pour Libération au Caire. "Ils ont l’habitude de la castagne, savent monter aux poteaux électriques et tenir des barricades". Mais l’engagement des Ultras d’Ahlawy ne se limite pas à la violence. "Ils ont un réel discours politique et leurs chants sont souvent repris place Tahrir. Ces supporters de foot sont devenus une catégorie politique à part entière".