S'il y a une personne qui connaît bien la vie de groupe, c'est lui. Sacré champion du monde en 1998 avec les Bleus en tant que capitaine, à 29 ans, Didier Deschampsa remis ça vingt ans plus tard, cette fois au poste de sélectionneur. Interrogé, dimanche dans le cadre de la nouvelle émission d'Europe 1, "Face aux auditeurs", sur ce qui a conduit ces deux groupes à devenir champion du monde, le sélectionneur des Bleus a reconnu que le point commun entre ces deux aventures gagnantes était "l'état d'esprit, parce que c'est quelque chose d'indispensable, le socle". "On est resté 51 jours ensemble, 24 heures sur 24. Il faut des aptitudes à vivre ensemble et à bien vivre ensemble", a-t-il confié.
"Le maître-mot, c'est s'adapter". Taulier des Bleus il y a vingt ans, Didier Deschamps a découvert, depuis qu'il est passé de l'autre côté de la barrière, en 2012, une nouvelle génération d'internationaux. "Le maître-mot pour un entraîneur et un sélectionneur, c'est s'adapter, s'adapter au contexte, aux circonstances, aux personnes qu'on a en face de soi. L'important, c'est toujours d'avoir le bon canal, de pouvoir discuter, qu'il y ait cette relation de confiance", a-t-il expliqué sur Europe 1, avant de revenir en détail sur cette génération des champions du monde 2018, les Pogba, Griezmann ou Mbappé.
Les jeunes "n'ont peur de rien". "Les générations sont différentes, mais pas que chez les footballeurs, dans la vie sociale aussi. La jeune génération est différente de celle d'il y a 20 ans", assure Didier Deschamps. "Mais ce n'est pas forcément quelque chose de négatif. Ils ont cette confiance en eux qui est très importante. Ils veulent tout, tout de suite, et ils font tout pour avoir tout, tout de suite. Ils n'ont peur de rien, ils ont une capacité à zapper très rapidement. C'est quelque chose qui est plus difficile pour la génération qui a 30 ans aujourd'hui, et qui reste plus marquée quand ça se passe mal. La jeune génération, elle, oublie et s'intéresse à ce qui se passe devant elle."
"Un peu plus de démonstration…" Plus étonnant peut-être, Didier Deschamps révèle que cette jeune génération a aussi besoin de signes d'affection. "C'est une génération très sensible, donc ça amène à avoir un peu plus de démonstration, en termes même d'affection", a-t-il précisé.
"Je me suis adapté, je ne me suis pas forcé, parce que je suis d'un naturel comme ça. Mais je ne l'avais pas fait les années précédentes, peut-être plus par protection ou par réserve. Il s'agit à tout moment d'optimiser les qualités individuelles de joueurs aux caractères différents et aux personnalités différentes. La notion de groupe a été essentielle, dès le premier jour où je suis arrivé à la tête de l'équipe de France (en juillet 2012, ndlr). Parce que je sais comment ça fonctionne et je sais ce qui ne nous a pas permis, à certains moments, d'atteindre les objectifs qui étaient les nôtres."
Pour les réseaux sociaux, "il faut cadrer". Pour Didier Deschamps, la première nécessité reste "de faire sentir à tous les joueurs qu'ils sont importants". "Mais faire sentir à un joueur qu'il est important sans qu'il ne soit sur le terrain, ce n'est pas évident, c'est là où la notion de groupe ou de collectif prend le dessus", souligne-t-il.
Outre cet impératif, presque aussi vieux que le football, Didier Deschamps doit aussi composer aujourd'hui avec les nouveaux comportements, parmi lesquels l'utilisation massive des réseaux sociaux. "Je ne me suis jamais senti le droit d'interdire, et de leur enlever cette liberté", estime-t-il. "Ça fait partie de leur vie, ils sont nés avec ça, donc, moi, Didier Deschamps sélectionneur, de quel droit je leur interdirais cette liberté ? Il faut la cadrer. Qu'eux s'exposent, parlent d'eux, à la limite… Mais mettre en cause des partenaires, des adversaires, ce sont des choses à éviter."
À éviter aussi, l'utilisation du smartphone à des moments inopportuns. "Ils sont nés avec les téléphones. Et même moi, qui ne suis pas né avec, quand je ne l'ai pas, je le cherche", reconnaît Didier Deschamps. "Mais lors des moments collectifs, les repas ou les réunions, ils savent très bien qu'ils n'ont pas à utiliser les téléphones. Après, dans les vestiaires, ils l'ont, ils écoutent de la musique, en salle de soins aussi… Dire non, ça ne sert à rien, je ne vais pas me battre contre ça. Mais, à partir du moment où on est ensemble, je suis vigilant, et ils le savent. Il y en a qui peuvent s'amuser un petit peu avec ça. Mais, en général, je parle et eux, ils sont concentrés sur le match. Mais la première chose qu'ils font à la fin de la rencontre, c'est être sur leur téléphone, bien évidemment. Il y a une bonne demi-heure où ils échangent, je ne sais pas avec qui, sur quoi. C'est comme ça, ils sont connectés, je ne peux pas les déconnecter… Mais je ne parle pas que de ceux qui ont 20 ans, ceux qui ont 30 ans, c'est pareil."
Dans ce contexte, tout le travail du sélectionneur et de son staff est de s'assurer que les joueurs ne se retrouvent pas isolés les uns des autres. "Ça (le recours aux smartphones et l'utilisation des réseaux sociaux, ndlr) va à l'encontre des échanges, c'est vrai, c'est un monde un peu virtuel. Mais ça ne les empêche pas de jouer ensemble, aux cartes, même connectés… Ils sont ensemble, certes parfois avec un joueur qui est à l'autre bout du monde, dont ils ne savent pas qui il est", sourit le sélectionneur. "Il y a quand même des échanges dans le groupe, ça n'empêche pas qu'il y ait des discussions." Et c'est sans doute là le plus important pour qu'il y ait des échanges, aussi, sur le terrain.