Des supporters de l'OM qui arrachent les sièges et détruisent les sanitaires, des ultras du PSG qui conduisent à l'interruption d'un match de Ligue des champions après l'utilisation massive de fumigènes, des fans stéphanois et rennais qui cherchent à en découdre après un match et puis, en point d'orgue, samedi soir, des supporters lillois qui envahissent la pelouse pour se diriger d'un air menaçant vers leurs propres joueurs. Les derniers jours n'ont pas exactement donné l'image d'un climat apaisé dans les tribunes du football français. "On attend quoi, qu'il y ait eu un malheur ? Là, il y a eu incident, et on fait quoi quand il y aura un accident ?" s'est interrogé samedi soir le coach du Losc, Christophe Galtier, dont le club a porté plainte après l'envahissement du terrain samedi. Ces récents "incidents" amènent effectivement à s'interroger sur la gestion actuelle des supporters et sur la qualité du dialogue entre les différents acteurs du football français.
Multiples envahissements de terrain. La scène à laquelle on a assisté samedi soir à Lille a été spectaculaire par son ampleur. Mais ce n'est pas une première. On se souvient des scènes de violences à Bastia, avant le match entre le Sporting et l'OL, en avril 2017. Cette saison, c'était même la cinquième fois, Ligue 1 et Ligue 2 confondues, que l'on assistait à une intrusion de supporters plus ou moins massive sur la pelouse. Cela avait été le cas notamment le 5 novembre dernier, lors de Saint-Étienne-Lyon (0-5), mais aussi quelques jours plus tard, le 19 novembre, à l'issue de Bordeaux-OM (1-1).
Et cette répétition des incidents a le don d'agacer du côté de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). "Maintenant, ça suffit avec les supporters. On est un peu démunis. Depuis quelques années, je pense qu'on a été trop laxiste sur ce problème", a pesté sur Europe 1 le coprésident de l'instance, Philippe Piat. "Je suis assez circonspect sur la loi de 2016 qui souhaitait faire intervenir les associations de supporters dans la gouvernance du football. Il faut d'abord qu'elles fassent le ménage chez elles avant d'être intégrées dans les rouages du football professionnel." La loi de 2016 qu'évoque Philippe Piat est la loi du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Sur son site, la Ligue de football professionnel explique que cette loi "met en place les conditions destinées à créer un meilleur équilibre entre répression et prévention (accueil, dialogue, anticipation des problèmes, promotion des valeurs du supportérisme)." Cette loi s'est accompagnée de la création d'une instance nationale du supportérisme, installée en mars 2017 et censée favoriser le dialogue entre les différentes parties.
On va globalement dans le bon sens, mais le risque zéro n'existe pas
"On va globalement dans le bon sens, mais le risque zéro n'existe pas", insiste au micro d'Europe 1 Pierre Barthélemy, avocat spécialiste de la cause des supporters et qui défend notamment les intérêts de l'Association nationale des supporters (ANS), créée en 2014. "On aura toujours des incidents car on a quand même 350.000 personnes dans les stades de Ligue 1 tous les week-ends, donc on n'est pas à l'abri de comportements individuels, mais il n'y a pas de structuration des incidents en France." Interrogé sur les événements de samedi à Lille, Didier Roustan considère que l'éducation a son rôle à jouer. "Les nouveaux supporters, on ne les a pas franchement éduqués. Et là-dedans, je mets aussi les médias. On dramatise tout, une défaite, une descente…", a-t-il commenté, lundi, dans Y'a pas péno.
L'éducation, la responsabilisation, le dialogue, ce sont ces thèmes sur lesquels travaillent le football français. "La plupart des acteurs, supporters, instances du football, pouvoirs publics, se rejoignent sur l'opportunité du dialogue, donc il n'y a pas d'inquiétude particulière à avoir", insiste Pierre Barthélemy. "Mais il faut avoir conscience aussi, malgré tout, qu'il y aura toujours un besoin de sécuriser, car il y aura toujours des personnes qui ne respecteront pas les règles et que celles-là devront être sanctionnées."
Cette volonté manifeste de dialogue, incarnée par la loi de 2016, va à l'inverse de la logique répressive qui a longtemps prédominé au début des années 2010, sous l'action notamment de la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), créée par Antoine Boutonnet. Celle-ci avait notamment accompagné le plan Leproux (du nom de l'ancien président du PSG, Robin Leproux), consistant à éloigner les supporters ultras du Parc des Princes après la mort d'un habitué de la tribune Boulogne, en marge de PSG-OM, début 2010.
Les ultras parisiens ont fait leur retour en 2016 sous la bannière du Collectif Ultras Paris, regroupant différents groupes de supporters. Et sont aujourd'hui des interlocuteurs du club, malgré leur recours régulier (régulé, disent-ils) aux fumigènes. Mais parallèlement, les interdictions de stade et de déplacement, et parfois même les interdictions de porter un signe distinctif de supporter aux abords d'un stade, continuent de se multiplier, entretenant le sentiment d'un grand flou autour de la gestion des supporters en France, malgré les efforts consentis de part et d'autre, notamment du côté de la DNLH.
"Année charnière". "On est dans une année charnière donc ça va prendre un peu de temps pour en voir les effets positifs", admet Pierre Barthélemy. "Ce qui est certain, c'est qu'au niveau national, il y a des travaux très intéressants et qu'il faut un peu de temps pour que ça infuse au niveau local, que tout le monde apprenne à maîtriser les outils, mais on n'a jamais été aussi loin dans le dialogue. On a une convergence, que ce soit pouvoirs publics, instances, supporters ou parlementaires, sur le fait qu'aujourd'hui, l'avenir, c'est le dialogue et on le développe de manière très constructive, avec le référent supporter (il existe déjà dans le football européen, sous le terme de Supporters liaison officer, et fait office de courroie de transmission entre les ultras et les pouvoirs publics, ndlr), dont la première formation va avoir lieu avant la fin de saison, et qui sera effectif à partir de la saison prochaine, et l'instance nationale du supportérisme, qui porte des sujets importants. On voit par exemple que ça avance sur les tribunes debout."
Tribunes debout. Plusieurs parlementaires plaident auprès du ministère des Sports pour un retour à des tribunes debout dans certains stades. "Il y a une vraie écoute de la culture des supporters et on va avoir pouvoir adapter les stades à leurs besoins, car certains incidents étaient provoqués par le fait que des gens étaient debout dans des espaces qui n'étaient pas adaptés", insiste Pierre Barthélemy. "Il y avait des casses de sièges, et des risques de blessures sur certains mouvements sur les buts."
Après les événements de samedi, certaines voix se sont pourtant élevées pour réclamer un autre retour, celui des grillages en bas de tribunes. "Si ça devait continuer comme ça, il faut bien trouver des solutions, et des solutions pour empêcher de tels énergumènes d'aller sur le terrain, c'est qu'il y ait des barrières pour qu'ils ne puissent pas le faire", a ainsi plaidé Philippe Piat, tout en rappelant aussi que cela avait conduit à des drames, comme ceux du Heysel, en mai 1985 (39 morts et plus de 450 blessés), puis de Hillsborough (96 morts et plus de 760 blessés), où, à chaque fois, et dans des conditions différentes, des spectateurs avaient été écrasés contre des barrières.
"C'est une fausse bonne idée", estime l'avocat de l'ANS. "Les grillages pourront toujours être contournés par ceux qui veulent les contourner, il y a des gens ivres qui vont monter dessus, qui vont tomber et vont se blesser… Il faut continuer à travailler sur cet équilibre, prévention-répression, la répression quand des gens commettent des infractions et dépassent des lignes et la prévention et le dialogue en amont pour responsabiliser les supporters et éviter que le manque de dialogue créé des tensions."
Les fumigènes, point d'achoppement. L'utilisation des fumigènes, parfois massive dans certains virages, au Parc des Princes, au Groupama Stadium ou à l'Orange Vélodrome, est aujourd'hui l'un des principaux points d'achoppement entre les autorités et les associations de supporters. Dangereux pour les premières, festifs pour les secondes, les fumigènes sont un élément clivant du débat, une excuse pour prononcer des sanctions ou des interdictions de stade selon les ultras.
"Ça reste interdit, c'est une infraction pénale donc on ne peut pas attendre des instances qu'ils approuvent l'usage des fumigènes", insiste Pierre Barthélemy. "Du côté des ultras, on sait que c'est un élément fort de leur culture. Ils estiment que les dangers sont limités et que c'est davantage la répression qui créé du danger, par la clandestinité, par le fait que les fumigènes sont craqués de manière dangereuse, pour éviter d'être interpellé. Le point à voir, c'est de changer la loi et de trouver un moyen de faire usage de pyrotechnie sécurisée, peut-être avec des engins, comme on voit dans les pays scandinaves, qui émettent beaucoup moins de chaleur et qui seraient moins dangereux. Il y a une solution à trouver."