Des conditions "inhumaines". Voilà ce qu'a décrit à l'arbitre Gaël Monfils, jeudi, pendant son match, perdu, contre Novak Djokovic, au troisième tour de l'Open d'Australie. Le thermomètre flirtait alors avec les 40°C à Melbourne. Il les atteint vendredi pour la fin du troisième tour, fatal à Alizé Cornet. Pendant sa rencontre face à la Belge Élise Mertens, la Niçoise a demandé un temps mort médical après avoir senti les prémices d'"un coup de chaud".
"Personne n'a envie de vivre ce qu'on a vécu sur les courts ces deux derniers jours. On a envie que la règle change. Je comprends qu'ils (les organisateurs) aient envie de lancer les matches quoi qu'il arrive. C'est du business. Faut que ça roule et faut que ça tourne. Mais à un moment donné, on n'est pas des robots, on n'est pas des pions qu'on met sur le court", a estimé Cornet après sa défaite (7-5, 6-4). "Au retour de service, quand je baissais la tête, j'avais l'impression d'être dans un four. (…) Ils nous envoient un peu à l'abattoir. J'ai l'impression qu'ils attendent qu'il y ait un drame pour changer (la règle). (…) Il faudrait peut-être une coalition de joueurs et qu'on dise qu'on boycotte, qu'on n'y va pas. Notre santé n'est pas prise en compte."
"Nous faisons partie d'une industrie", regrette Djokovic. Voilà peut-être un sujet pour le futur syndicat des joueurs qu'espère mettre en place Novak Djokovic. L'ancien n°1 mondial a en tout cas eu des mots forts, jeudi, après son succès sur Monfils. "Nous faisons partie d'une industrie. Notre sport est devenu une industrie, comme la plupart des autres sports. C'est plus du business que du sport", a reconnu le Serbe. "Parfois, ça me préoccupe, je n'aime pas ça, en tant que personne qui a commencé à jouer, et qui continue à le faire, pour le fait de jouer. Bien sûr, nous avons beaucoup de chance d'être très bien rétribués. En même temps, le plus important, c'est notre santé, ce qui arrive après l'âge de 30 ou 35 ans." Djokovic, sextuple vainqueur à Melbourne, n'a pas hésité à critiquer les organisateurs. "Certains jours, le superviseur du tournoi devrait reconnaître qu'il faut laisser aux joueurs quelques heures pour que (la température) baisse. Je sais qu'il y a la question des billets. Si les matches n'ont pas lieu, les gens ne seront pas contents."
Vendredi, les organisateurs, qui ne sont évidemment pas à leur première polémique sur les conditions de jeu, ont défendu leur choix de ne pas avoir suspendu les matches et de ne pas avoir fermé les toits des trois courts principaux. Même s'il reconnaît avoir hésité à prendre cette décision, le directeur du tournoi Craig Tiley a insisté sur le fait que l'Open d'Australie restait "un tournoi en extérieur", avant d'ajouter : "Nous voulons rester un tournoi en extérieur aussi longtemps que possible mais nous assurer aussi de la santé et du bien-être des joueurs." Si les toits des trois principaux courts n'ont pas été fermés pour rafraîchir l'atmosphère, c'est aussi par souci d'équité, pour éviter que les joueurs évoluant sur les courts annexes ne souffrent davantage que les autres. C'est déjà sur ces courts annexes que les conditions de jeu sont les plus difficiles car il y a bien moins d'ombre que sur les grands courts.
Température au thermomètre-globe mouillé. En ce qui concerne la suspension des matches, elle ne peut être décidée que si la température atteint un certain seuil. Dans les textes, elle est passée à 40°C après les atermoiements et les polémiques qui avaient marqué l'édition 2014, avec plusieurs abandons de joueurs. On a dépassé les 40°C vendredi. Mais à la température maximale permise, les organisateurs ont ajouté une deuxième donnée : la Wet Bulb Globe Temperature (WBGT), la température au thermomètre-globe mouillé en VF, qui correspond à un indice utilisé pour estimer les effets de la température, de l'humidité et du rayonnement solaire sur l'homme. Le seuil de cette donnée a été fixé à 32,5. Au plus haut, la WBGT a atteint 31,1 vendredi, ce qui explique que le jeu a été maintenu tout au long de l'après-midi.
Face aux récriminations des joueurs, Craig Tiley a indiqué que la "extreme heat policy" (mesures en cas de forte chaleur) pourrait être modifiée à l'avenir. "Nous avons commencé le tournoi avec certaines règles et pratiques et, pour l'équité, on ne peut en changer au milieu du tournoi. (…) À la fin de chaque édition, nous revoyons nos pratiques et nos procédures avec toutes les parties prenantes. Et les mesures concernant la chaleur ne font pas exception", a-t-il déclaré vendredi. Les organisateurs, mais aussi les joueurs, ramasseurs de balle, arbitres, officiels et spectateurs peuvent être rassurés. Les températures devraient désormais osciller entre 24°C et 37°C jusqu'à la fin de la quinzaine.
Federer, voix discordante. Jeudi, Roger Federer a estimé que les joueurs devaient être capables de jouer "dans toutes les conditions". En 2014, le Suisse avait déjà soutenu la décision des arbitres de maintenir les rencontres alors que le thermomètre avait dépassé les 43°C. Mais "Fed" n'est pas le plus concerné par ses températures caniculaires. Ses deux premiers tours, face à Aljaz Bedene et Jan-Lennard Struff, il les a disputés en session de nuit, par des températures plus clémentes, alors que certaines affiches, comme Monfils-Djokovic, ont été programmées sous le cagnard. Ce qui fait dire à certains que Federer bénéficie d'un réel pouvoir auprès des organisateurs.
"Peut-être, mais ce n'est pas moi qui décide (même si, comme d'autres, Federer fait des demandes aux organisateurs, ndlr)", a réagi le tenant du titre après sa victoire au deuxième tour. "Ça ne me dérangerait pas de jouer pendant la journée et j'espère que je serais capable de survivre dans ces conditions-là." Comme les températures vont baisser, on ne le saura pas.