Le Giro continue sa marche vers l'internationalisation, et de manière spectaculaire. Pour sa 101ème édition qui démarre vendredi, le Tour d'Italie débute en effet par trois étapes en Israël, avec une 1ère étape contre-la-montre dans les rues de Jérusalem. Alors qu'Israël n'a jamais accueilli d’événement sportif de cette envergure, l'État hébreu y voit l'opportunité de booster le tourisme et développer le cyclisme. Mais alors que les affrontements à la frontière avec Gaza continuent, cette délocalisation provoque aussi la controverse.
Au Giro l'argent et à Israël les retombées. L’événement est historique. Si les grands Tours ont pris l'habitude ces dernières années de délocaliser certaines de leurs étapes pour gagner en visibilité, c'est la première fois qu'une ou plusieurs journées de course s'exportent hors d'Europe. Et pour accueillir les premiers jours de ce Giro, le gouvernement israélien a mis les moyens. Selon plusieurs médias, Israël aurait ainsi déboursé plus de 10 millions d'euros pour convaincre les organisateurs de la course transalpine de choisir le pays. Une somme près de deux fois supérieure à ce que déboursent les candidats européens en temps normal, mais non confirmée par Israël.
La popularité du vélo dans le monde entier, et la visibilité offerte aux paysages lors des retransmissions sont autant d'atouts non négligeables sur lesquels Israël compte bien s'appuyer pour booster son industrie touristique, alors que le Giro est l'une des manifestations sportives les plus regardées au monde, avec près de 840 millions de téléspectateurs l'an dernier. Après avoir attiré 3,87 millions de touristes l'an passé, le pays espère atteindre grâce au Giro le cap des 5 millions de visiteurs, explique Les Échos.
Preuve de l'importance stratégique de l’événement, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a lui-même mouillé le maillot pour promouvoir l’événement. "Des coureurs issus de 45 pays vont parcourir la terre d'Israël et ses paysages, et du même coup pourront relayer une impression positive de l'État d'Israël dans le monde", s'est-il récemment félicité, apparaissant également sur un vélo dans une vidéo publicitaire.
La venue de la compétition est également l'occasion de développer le cyclisme en Israël, alors que "95% de la population ignore ce qu'est le Giro", selon L'Équipe. Israel Cycling Academy, la première équipe israélienne, sera par ailleurs au départ de la course et est actuellement en plein développement. Le 17 mars, elle a participé à sa première grande classique sur route, en Italie, avec Milan San-Remo.
Une décision semée d’embûches. Bien évidemment, la décision de la direction du Giro a déclenché dès son annonce une importante polémique, notamment du côté du voisin palestinien. En décembre, l'Organisation de libération de la Palestine a accusé les organisateurs de se rendre "complices de violations flagrantes des lois, des accords et du consensus international". Le Giro s'est toutefois évité une crise interne, après que les équipes Barhain-Merida et UAE, dont les deux leaders, Domenico Pozzovivo et Fabio Aru, sont italiens, mais qui sont financées par des pays ne reconnaissant pas l'existence d'Israël (Bahreïn et Émirats arabes unis), ont accepté après tergiversation de concourir.
Mais un autre incident à failli compromettre la bonne tenue de l’événement. Lors de la présentation du parcours en novembre, les autorités israéliennes ont découvert avec stupeur la mention de "Jérusalem-Ouest", comme ville de départ. "À Jérusalem, la capitale d'Israël, il n'y a pas d'est ou d'ouest, il n'y a qu'une seul Jérusalem unifiée", avaient alors dénoncé dans un communiqué les ministres des sports et du tourisme. Avant de menacer : "Si l'écriture ne change pas, le gouvernement israélien ne sera pas partenaire de l’événement."
Un milliardaire canadien aux manettes. Derrière la décision de l'organisation du Giro se cache un homme influent. Sylvain Adams, un homme d'affaires d'origine canadienne installé en Israël depuis deux ans, a lui-même financé une partie de l’événement. Passionné de cyclisme, c'est également lui qui a fondé en 2015 l'Israel Cycling Academy et il fait partie des donateurs pour la construction du futur vélodrome de la capitale économique d'Israël. Et si, du côté des autorités comme de l'organisation du Giro, tout le monde se défend de faire de la politique, Sylvain Adams n'hésite pas à louer le visage "tolérant", "ouvert", et "libre" d'Israël, dans Le Monde. Et quand il s'agit d'aborder la question des manifestants palestiniens, dont 48 ont été tués par des tirs israéliens depuis le début de "la marche du retour", l'homme d'affaires abandonne toute réserve. "Ce ne sont pas des innocents. Ils ont de très mauvais dirigeants, des terroristes, qui n'expriment aucun intérêt pour leur peuple. Nous sommes entouré d'éléments hostiles", explique-t-il, toujours dans Le Monde.
Des coureurs plutôt silencieux. Du côté des coureurs, la plupart restent silencieux par rapport à ces considérations politiques. "C'est un peu tendu au niveau de la sécurité", reconnaît le Néerlandais Tom Dumoulin, tenant du titre, "mais je n'ai pas plus peur que lorsque j'arrive sur les Champs-Élysées (dernière étape du Tour de France)". Thibaut Pinot, l'un des favoris pour la course au podium, préfère lui mettre en avant les conséquences physiques du transfert entre Israël et l'Italie. "J'aurai préféré découvrir ce pays hors du Giro. Du coup, il y a un voyage en avion et un jour de repos après trois étapes. Ça casse le rythme", explique-t-il, cité par RMC.